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lundi 25 novembre 2024

Ariodante à l'Opéra National du Rhin

© photo Klara Beck,  Emöke Barath, Adèle Charvet


Ariodante un opéra seria en trois actes dont la musique est de Georg Friedrich Haendel  (1685-1759) et le livret est une adaptation par un auteur inconnu de Ginevra, principessa di Scozia, un livret d’Antonio Salvi (1664-1724) écrit en 1708 pour le compositeur Giacomo Perti. Ariodante fut créé au Royal Theater de Covent Garden le 8 janvier 1735 (1 - 3).


Les conditions ayant présidé à la genèse de cet opéra ainsi que l’analyse musicale de ce dernier ont été détaillés préalablement dans ces colonnes à l’occasion de la représentation d’une version de concert d’Ariodante dirigée par William Christie et les Arts Florissants (4). La production de l’Opéra National du Rhin que nous considérons ici, est dirigée par Christopher Moulds et bénéficie d’une mise en scène. Il s’agit de la représentation du 10 novembre à Strasbourg.


© photo Klara Beck,   Christophe Dumaux et Laurence Kilsby

La mise en scène de Jetske Mijnssen présente quelques changements par rapport au livret original. Dalinda, dame de compagnie dans le livret devient la soeur cadette de Ginevra et la fille du roi d’Ecosse. Cette modification permet de solidifier le cercle familial autour du roi d’Ecosse et de renforcer le huis-clos psychologique dans lequel évoluent les protagonistes. Une conséquence néfaste de ce choix  est d’appauvrir le ressort dramatique. Dalinda est rétrogradée au rôle de soeur bien aimé tandis que son rôle de servante était bien plus riche de possibilités. J’ai toujours considéré Dalinda comme une sainte-nitouche. Est-elle si innocente et si naïve que ça quand elle endosse le costume de Ginevra et s’expose aux yeux de tous dans les bras de Polinesso ? Autre changement : le puissant roi d’Ecosse est devenu un vieillard quasiment grabataire. Malgré ces modifications, « le pentagone amoureux : Lurcanio aime Dalinda qui aime Polinesso qui aime Ginevra qui aime Ariodante (Louis Geisler, programme de salle) » fonctionne toujours très bien et s’avère riche de possibilités dramatiques. Avec une belle direction d’acteurs, le spectacle acquiert beaucoup d’intensité dramatique. Il est servi par une scénographie harmonieuse (Etienne Pluss) représentant le château royal, par de beaux costumes sobres typiques d’une monarchie britannique des années 1930 (Uta Meenen) et par de beaux éclairages (Fabrice Kebour). A l’acte I, c’est le temps des préparatifs d’un mariage et d’agréables divertissements dans les salons cossus du château éclairés a giorno et remplis de fleurs. Au deuxième acte, les couleurs ont disparu, le roi est prisonnier de son lit médicalisé et cette ambiance accablée se maintient à l’acte III. A noter la remarquable scène du duel au fleuret de Lurcanio et de Polinesso aboutissant à la mort du traître. Une nouvelle fête se prépare, on s’attend à la lieto fine traditionnelle mais Jetske Mijnssen en a décidé autrement (5). 

Avec un livret aussi inspirant, Haendel fit des merveilles. Contrairement aux deux autres opéras, Orlando et Alcina inspirés du Roland furieux de Ludovico Ariosto, l’épopée d’Ariodante ne fait pas appel à la magie ou au fantastique. Il s’agit en fait d’un drame familial avec des personnages aux passions humaines auxquels le public pouvait facilement s’identifier. Toutes les émotions ressenties par les protagonistes sont exprimées dans une trentaine d’airs de grande qualité dont vingt quatre sont des arie da capo.

© photo Klara Beck,   Adèle Charvet

Bien que le rôle titre fût chanté à l’origine par un castrat en l’occurrence Giovanni Carestini, la tradition veut dans les temps modernes que ce rôle soit chanté par une mezzo-soprano. J’ai été impressionné par Adèle Charvet. Elle était très à l’aise dans les morceaux de bravoure comme par exemple le formidable, Con l’ali di costanza (I.8), un air hérissé d’obstacles, couvrant toute la vaste tessiture de la chanteuse et aux coloratures les plus hardies. Ses suraigus étaient d’une pureté parfaite et ses graves très expressifs. Aussi performante dans les morceaux méditatifs, elle a gratifié le public d’un inoubliable, Scherza infida (II.3), célèbre lamento en sol mineur et probablement sommet de l’opéra tout entier. L’équilibre entre la voix corpulente, les cordes et les thrènes endeuillées du basson était remarquable. Cette parie de basson arracherait des larmes à des pierres et me fait penser à certains passages du Requiem de Mozart. Le rôle de Ginevra est probablement le plus lourd de l’opéra avec huit airs dont certains très exigeants. La soprano Emöke Baràth a ébloui l’assistance avec, au premier acte, le merveilleux duo d’amour entre Ginevra et Ariodante, Se rinasce nel mio cor (I.13) repris par le choeur dans un mouvement plein de grâce et de plénitude. Le désespoir de Ginevra éclate dans un autre sommet de la partition, l’air, il mio crudel martoro, sorte de marche funèbre en mi mineur où la soprano hongroise se montre bouleversante. Le climax d’émotion survient dans le récitatif accompagné (II.10) où la soprano hurle A me impudica (Moi, impudique !). Avec trois ou quatre airs, les quatre autres personnages n’ont en rien un rôle secondaire. Scotché sur sa chaise roulante ou dans son lit médicalisé le roi d’Ecosse n’avait pas le beau rôle. Pourtant Alex Rosen lui a donné de la grandeur et de la dignité notamment sans son très bel air avec deux cors obligés de l’acte I, Voli colla sua tromba (I.7). Les aigus sont puissants et la basse profonde. Polinesso, le méchant devait avoir quelques qualités pour séduire Dalinda, il le montre bien dans un air magnifique, Spero per voi où il se montre diablement enjôleur (I.9). Christophe Dumaux incarnait ce rôle, un des plus antipathiques chez Haendel, avec toute la noirceur requise. Ses formidables vocalises dans Se l’inganno sortisce felice (II.5), véritable profession de foi maléfique, montraient que cet artiste, est aussi bon acteur que chanteur. Dalinda en tant que petite soeur dévouée de Ginevra, est un personnage assez lisse. Lauranne Oliva, soprano, chante à l’acte II une superbe sicilienne, Se tanto piace il cor (II.4) où la jeune fille s’inquiète de la froideur de celui qu’elle aime. L’intonation est parfaite, la voix a de riches résonances et une belle ductilité capable de triompher des redoutables coloratures ultrarapides de son aria di furore, Neghittosi or voi che fate (II.2). Révélée à Strasbourg dans Le couronnement de Poppée et dans Lakmé, elle est désormais une valeur sûre. Laurence Kilsby chanta à la perfection le rôle de Lurcanio, frère d’Ariodante. Le ténor britannique possède une voix ample au timbre charmeur et aux belles couleurs notamment dans l’air magnifique, Del mio sol, vezzosi rai (I.10). Pierre Romainville dans le rôle d’Odoardo intervient dans le récitatif sec et dans les choeurs d’une belle voix bien timbrée.

© photo Klara Beck,   Alex Rosen, Emöke Barath, Adèle Charvet


L’orchestre symphonique de Mulhouse est remarquable dans le répertoire classique, romantique et moderne mais pour la musique de Lully, Rameau ou bien Haendel, il faut des violonistes baroques jouant sans mentonnière, sans coussin, avec des cordes en boyau, sans vibrato et avec un phrasé et une articulation appropriés ; il faut des cors et trompettes naturels, des hautbois et bassons baroques etc. Grâce aux efforts louables de Christopher Moulds et sa connaissance intime de la musique du Caro Sassone, le son de l’orchestre n’était pas trop gros et l’équilibre avec les chanteurs était satisfaisant. Je ne comprends pas qu’il ne soit pas possible de réunir un orchestre baroque avec les forces existant à Strasbourg ou encore qu’on ne fasse pas appel à l’une des phalanges opérant outre-Rhin, au festival Haendel de Karlsruhe par exemple.

Après Picture a day like this et ce magnifique spectacle, la saison 2034/5 débute en fanfare à l’ONR.

© photo Klara Beck,   Emöke Barath et quatre artistes de l'ont


  1. Olivier Rouvière, Les Opéras de Haendel, Van Dieren Editeur, Paris, 2022, pp 268-275.
  2. Piotr KaminskyChristopher, Haendel, Purcell et le baroque à Londres, Fayard, 2010, pp 202-207.
  3. Xavier Cervantes, Les arias de comparaison dans les opéras londoniens de Haendel: Variations sur un thème baroque, International Review of the Aesthetics and Sociology of Music. 26(2), 147-166, 1995.
  4. Ariodante à l’Opéra de Dijon, https://piero1809.blogspot.com/2023/11/ariodante-de-haendel-lopera-de-dijon.html
  5. Christopher Moulds, Un symphonisme baroque, propos recueillis par Camille Lienhart, ONR, Ariodante, programme de salle, 2024




 

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