La Tarentelle |
3.
L'entre-deux guerres.
La
première guerre mondiale et ses ravages désastreux ainsi que la
crise économique accélère un mouvement déja engagé depuis
plusieurs décennies: l'émigration des travailleurs européens et en
particulier du sud de l'Italie vers l'Amérique du Nord.
Après
1918 le ton des chants napolitains est souvent sombre. De nombreux
chants témoignent de la frustration et de la détresse des émigrés
qui pleurent leur patrie perdue. A cartulina 'e Napule (La carte postale, De Luca, Buongiovanni), Lacreme
napulitane (larmes napolitaines, Bovio, Buongiovanni,
1925), O paese do sole (Bovio, D'Annibale, 1925)
en sont d'émouvants témoignages. Sur un mode plus léger Core
furastiero (Coeur étranger, A.Melina, E.A.Mario, 1922) met
en scène un "américain" qui revient à Naples en touriste
et qui est considéré comme un étranger dans le quartier qui l'a vu
naitre. En 1911, a lieu la création de La Fanciulla del West
de Giacomo Puccini à New York. Le livret met en scène des
chercheurs d'or qui ont tout quitté, pays, famille, pour faire
fortune. Au premier acte on entend un chanteur ambulant (cantastorie)
qui entonne une mélodie reprise en choeur par les mineurs dont les
paroles traduisent bien le désarroi.
Dans
un contexte différent mais tout aussi désespéré, l'Urdema
tarentella (la dernière tarentelle
(3), Bovio, Tagliaferri) étonne par sa violence quasi
expressionniste. Quelques années plus tard un auteur compositeur de
grand talent E.A. Mario publiera une pléiade de titres de qualité
dont la très belle Canzone
appassiunata (1922) ainsi que Santa
Lucia luntana (1919), un chant d'un intense pouvoir évocateur, véritable hymne
des émigrants.
Ajoutons
la verve sarcastique de Raffaele Viviani dans Bammenella,
une vigoureuse satire des moeurs de l'époque. On ne peut évidemment
pas tout citer ici tant cette période est riche, s'il fallait ne
retenir que deux titres du grand L. Bovio, alors ce serait Passione (L.Bovio, E.Tagliaferro, N.Valente, 1934) et et l'Addio (L. Bovio, N. Valente).
4.
Les temps modernes (de 1945 à nos jours).
La
deuxième guerre mondiale et son cortège de malheurs et de
destructions entraine des bouleversements dans les mentalités et les
modes de vie.
Au
début des années 1950 ces changements ne sont pas très apparents,
des titres tels que Anema e core (Manlio,
D'Esposito, 1950), Reginella (Bovio, Lama),
Malafemmena (Antonio de Curtis dit Toto, 1951)
gardent un peu de la magie et du lyrisme des chants plus anciens. Par
contre, une chanson comme Tammuriata nera, Tammuriata (4) noire (Nicolardi, E.A.Mario, 1945) que l'on pourra
entendre dans le film "le Voleur de Bicyclettes" de
Vittorio de Sica, étonne par son rythme sauvage.
Quelques
années plus tard, une évolution se dessine, l'influence du jazz,
l'irruption de rythmes nord- et sud-américains entrainent évidemment
d'importants changements dans la partie musicale des chants. Les
titres tels que Guaglione (Nisa, Fanciulli, 1956),
O Sarracino (Nisa, Carosone) ou Accarezzame (Nisa, Calvi, 1954) vont connaitre un succès international.
Guaglione sera popularisé en France dans le domaine de la
variété sous le titre italien de Bambino et y connaitra
une fortune considérable.
Dans
les années 1960, Domenico Modugno signera plusieurs mélodies
influencées par le Jazz en langue napolitaine: Strada
n'fosa (route mouillée), Resta cu me et
surtout Lazarella, une spirituelle création toute
frémissante des bruits de Naples. Le même esprit prévaut dans A
citta 'e Pulecenella (la ville de Polichinelle), une
composition de Claudio Mattone.
Actuellement
plusieurs groupes (Neapolis Ensemble, NewPoli, Spakka Neapolis 55),
renient le côté quelque peu doucereux ou "bel canto" de
la sérénade napolitaine et pronent le retour aux sources en
s'appuyant sur des instruments traditionnels et des textes originaux
parfois corrosifs et violemment contestataires.
N'ayant
ni les compétences, ni le recul pour analyser les tendances
actuelles du chant napolitain, je me permets de suggérer de
consulter l'article de Secondulfo et Secondulfo (1).
5.
Discographie
Elle
est évidemment d'une extrême richesse. A mon humble avis, les
chants napolitains sont particulièrement émouvants lorsqu'ils sont
discrètement accompagnés par une guitare ou de petits ensembles
comprenant en plus de la guitare, la mandoline (mandolino), le
calascione (instrument à cordes réalisant la basse continue), le
tamurro (tambour). Un violon, une flûte, voire un accordéon peuvent
agrémenter l'ensemble. Voici une liste non exhaustive de mes chanteuses et chanteurs préférés.
Mario
Maglione, un chanteur exemplaire (belle voix, goût très sûr) qui
s'accompagne d'une simple guitare. Son vaste répertoire parcourt
tous les styles et toutes les époques.
Stefano
Albarello dans le CD "Eco del Vesuvio", chante une des
meilleures versions de Era de maggio ou de La
luna nova.
Gianni
Quintiliani brille par le choix des magnifiques mélodies qu'il
interprête.
Il faut également avoir entendu: Mario Merola, bouleversant dans Lacreme napulitane; Angela Luce, étincelante dans Bammenella; Antonio Sorrentino dans 'A tazza 'e café revisite de façon très originale l'ensemble du répertoire; Lina Sastri, une chanteuse très sobre est remarquable dans Tammuriata nera; j'aime beaucoup la voix chaude de Gloriana dans Canta pe me; Roberto Murolo, remarquable d'authenticité dans Pusilleco addiruso. Gianni Lamagna a une voix très prenante et s'accompagne souvent d'une simple guitare. Parmi les groupes, I Cimarosa, gruppo storico, le Neapolis ensemble et Spakka Neapolis 55 qui se produisent fréquemment en France proposent une image dynamique et jeune du folklore partenopéen (5). Enfin l'orchestre baroque l'Arpeggiata dirigé par Christina Pluhar a exécuté nombre de mélodies napolitaines datant des 17ème et 18ème siècles. Un aperçu en est donné dans le film Tous les Soleils de Philippe Claudel.
(3)
Tarentelle: forme musicale typique de l'Italie du sud. Selon la
légende la tarentelle était dansée pour se prémunir de la piqure
d'une araignée imaginaire, la tarentule. Une tarentelle célèbre
figure dans le finale de la symphonie italienne en la majeur de F.
Mendelsohn.
(4)
Tammuriata: danse de la région de Naples, vigoureusement scandée
par un tambour (tammurro).
(5)
Partenopea, ville grecque mythique. Sur ses fondations, Neapolis, fut
bâtie, puis devint Napoli (Napule en dialecte).
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