Baudolino a une
imagination inépuisable. Il possède le don de parler les langues des pays qu'il traverse et est tellement habile à communiquer ses rêves que ces
derniers finissent par prendre de la substance et devenir réalité
pour ses contemporains et peut-être pour lui-même. Mythomane ou
mystificateur? La question reste posée jusqu'à la dernière
page du livre d'Umberto Eco.
Quand le roman débute, nous sommes en
1205, à l'époque de la quatrième croisade, les Vénitiens et les
Francs sont entrés dans Constantinople et la ville est en flammes.
Baudolino sauve du massacre un notable byzantin Niceta Coniate et lui
assure la sécurité. Les deux hommes se prennent d'amitié et
Baudolino conte sa vie à Niceta.
Originaire du Piemont, Baudolino, fils
de paysan, est adopté par l'empereur Romain Germanique Frédéric
Barberousse à l'occasion d'une de ses nombreuses expéditions en
Italie. Séduit par la vivacité d'esprit du jeune homme, l'empereur
lui assure l'éducation d'un prince et l'envoie étudier à Paris. C'est là que Baudolino avec un groupe d'amis étudiants
échafaude un projet grandiose : partir à la recherche du
Prêtre Jean, qui selon la légende serait à la tête d'un immense
royaume chrétien aux confins de l'Asie et en bordure du Paradis
terrestre. Au départ, canular d'étudiant, le projet qui ne repose
sur rien de concret, prend de la substance grâce à l'imagination
des amis qui minutieusement vont décrire dans ses moindres détails
ce royaume. Baudolino emporté par son imagination délirante, va
rédiger une lettre d'invitation du Prêtre Jean adressée à
l'empereur Barberousse. Cette lettre arrive à point nommé car
l'empereur Romain Germanique, voulant assurer son pouvoir politique
et spirituel et damer le pion au pape Alexandre III, souhaite
s'engager dans une grande entreprise et est séduit par la
perspective d'une alliance avec le prêtre Jean. Pendant ce temps
Baudolino, revenu au pays, trouve dans l'humble écuelle en bois utilisée
par son père pour boire son vin, une ressemblance avec le Graal et persuade ses amis
que cet objet sacré, ayant recueilli le sang du Christ en Croix,
pourrait être un présent acceptable pour le prêtre Jean. C'est
ainsi qu'à l'occasion de la troisième croisade, l'Empereur,
accompagné de Baudolino et de ses amis, entreprend une expédition
vers l'est. Arrivé aux portes de l'Arménie, l'empereur meurt noyé
en se baignant dans une rivière et les compagnons vont poursuivre
seuls leur expédition. Après une marche de plusieurs années vers
l'est, et la traversée d'un fleuve sans eau, le Sambatyon, qui
charrie avec fracas des rochers, Baudolino et sa troupe vont arriver
aux portes d'un royaume, antichambre de celui de Jean; mais ce n'est
pas du tout le pays de cocagne dont ils avaient rêvé, mais une
contrée inhospitalière où survivent péniblement au milieu d'une
ville appelée Pndapetzim, des êtres étranges, Sciapodes, courant
sur une seule jambe, Blemmyes avec une bouche au milieu du corps,
Panozi qui ont des oreilles tombant sur les genoux, pygmées,
géants....dirigés par un groupe d'eunuques dont le chef se prétend le représentant de Jean dans cette contrée. Dans une
forêt voisine, Baudolino fait connaissance avec Ipazia, une Amazone
montant une licorne, et en tombe éperdument amoureux. Au cours d'une
relation intime, il fait une découverte étonnante concernant la
morphologie de sa bien-aimée. Plus tard il est contraint de quitter
sa compagne et l'enfant de lui qu'elle porte pour secourir Pnapetzim
assiégée par des envahisseurs, il va regrouper les semi-humains
dans une bataille qui s'achève rapidement par une défaite écrasante
et un massacre. Apprenant qu'Ipazia a rejoint sa tribu d'Amazones et confié son fils à une troupe de Satyres, il quitte la contrée avec le reste de
ses amis sans avoir pu approcher le prêtre Jean et s'engage sur le
chemin du retour. Au terme de dix années de voyage, il atteint
Constantinople.
Sciapode - Chroniques de Nuremberg |
Comme toujours dans les romans d'Eco, la plupart des
faits relatés sont historiques, par contre le personnage titre est
imaginaire. Au plan historique, le roman traite de deux évènements
majeurs : le sac de Constantinople ; les guerres de
Frédéric Barberousse contre les cités italiennes en révolte.
En 1204, les croisés (Francs et
Vénitiens), prenant avantage des divisions qui secouent l'empire
byzantin, s'emparent de Constantinople, capitale des chrétiens
d'Orient, incendient la ville et se livrent au pillage. Les églises
ne seront pas épargnées et les objets du culte, merveilles
d'orfèvrerie, sont systématiquement fondus. Chacun s'empare de ce
qu'il peut trouver. Par contre les reliques font l'objet d'une razzia
plus organisée, elles seront remises aux dirigeants des croisés qui
décideront quelle abbaye ou évêché pourra les accueillir. Les
contrevenants, hommes du peuple ou chevaliers, sont pendus haut et
court. Alors que les grecs de Byzance avaient réussi à maintenir
quasiment intact leur brillant héritage antique gréco-romain
pendant un millénaire, ce patrimoine fut détruit ou incendié en
quelques jours, les statues antiques en bronze, fondues. Echappèrent
au désastre le quadrige antique de chevaux de bronze doré de
l'hippodrome qui comme beaucoup de sculptures et colonnes furent
enlevées de Constantinople en 1204 pour orner la basilique Saint
Marc à Venise. Cet épisode dramatique laissera des traces
indélébiles et scellera de manière définitive le schisme entre
l'église d'Orient et la Papauté.
Les cités du nord de l'Italie
acceptent de plus en plus mal la domination de l'empereur Romain
Germanique, elles se rebellent les unes après les autres en formant
des alliances (ligues), d'autres cités s'inquiètant de la puissance
accrue des ligues, se rangent aux côtés de l'empire. En 1159,
Crema, une ville de Lombardie, s'allie avec Milan contre Crémone,
restée fidèle à l'empereur. Au terme d'un assaut d'une grande
brutalité, Crema est rasée par les troupes de Frédéric
Barberousse et la population (hommes, femmes, enfants) massacrée. Ce
type de situation se reproduit plusieurs fois dans d'autres cités et
en particulier à Milan. Au Piémont plusieurs habitants chassés de
leurs villes ou villages dont le père de Baudolino décident de
s'associer pour fonder une cité nouvelle, sans l'accord de Frédéric.
La cité, construite de bric et de broc mais dotée de belles
murailles, est bientôt assiégée par Frédéric. C'est cet épisode
tragi-comique qui est conté par Baudolino. La cité neuve survivra à
ce siège et sera baptisée Alessandria en hommage au pape Alexandre
III.
La troisième partie du récit de
Baudolino vire progressivement vers le fantastique. S'agit-il d'une
nouvelle mystification de Baudolino, ou le produit de son imagination
inépuisable ? Il est clair que les peuples (sciapodes,
blemmyes,....) que Baudolino décrit dans ses voyages sont présents
dans l'imaginaire collectif du moyen-âge et on les voit sur les
tympans des portails des abbayes romanes de Vezelay, Autun, Conques, édifices à peu près contemporains de l'époque de Baudolino..., en tant que symboles de l'universalité du message chrétien
adressé aux confins de la terre. Toutefois la parole de Dieu arrive plus ou moins déformée dans ces contrées lointaines puisque
les croyances de chaque peuples représentent autant d'hérésies par
rapport à l'orthodoxie catholique romaine. Chaque peuple prétend
détenir la vrai foi et ne se mélange en aucun cas avec les autres
qualifiés d'hérétiques infréquentables.
On retrouve donc dans Baudolino les
ingrédients qui font la force des romans d'Eco : Religion
(orthodoxie, hérésie, culte des reliques) ; Politique
(unité italienne, théorie du complot, sociétés secrètes) ;
Représentation de l'univers ; Histoire du Piémont (région
d'origine d'Eco). Il y a de plus une légereté de ton qui rend ce livre particulièrement attachant et qui tranche
avec ses autres romans.
La lecture de ce livre en italien est
évidemment délectable chez un auteur qui manie les mots avec
virtuosité. Je n'ai pas lu la version française mais on peut faire confiance à la traduction de Jean Noël Schifano.
Umberto Eco, Baudolino, Grasset 2002.
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