Le Serment des Horaces. Tableau de David |
Gli
Orazi e i Curiazi, Action Tragique de Domenico Cimarosa (1749-1801), livret
d'Antonio Sografi rédigé à partir de la tragédie de Corneille,
fut représenté au théatre de la Fenice le 26 décembre 1796. Accueilli au départ assez froidement, cet opéra seria obtint
finalement un très grand succès.
Alba Longa est en guerre contre Rome. Sabina, soeur d'un des
Curiaces, est mariée au romain Marco Orazio tandis que Orazia, soeur
de Marco Orazio, vient tout juste d'épouser Curiazio. Le roi de
Rome, Tullus Hostilius et le roi d'Alba Longa, Metius Fufetius, afin
d'épargner des vies, décident que le résultat de la guerre sera
déterminé par une bataille entre deux groupes de trois guerriers. A
la détresse de Sabina et Orazia, les guerriers sélectionnés sont
les trois Horaces et les trois Curiaces! Cette décision est validée
par l'Oracle du temple d'Apollon. La confrontation a lieu au Champs
de Mars. Deux Horaces sont d'abord tués puis Marco Orazio tue les
trois Curiaces grâce à sa ruse et son courage. Orazia, effondrée
par la vue du cadavre de Curiazio, invoque la malédiction des dieux
sur Rome. Orazio, exaspéré par son dédain de la patrie, dégaine
son glaive et la tue (1-3).
Ce
sujet qui exalte les vertus républicaines de l'ancienne Rome, ne
pouvait qu'enflammer le public de la fin du 18ème siècle tout
acquis aux mythes républicains. Cet enthousiasme révolutionnaire
fera beaucoup pour la gloire de Cimarosa déjà auréolé par le
triomphe du Matrimonio Segreto en 1792, il causera aussi
sa disgrâce quand les Bourbons mettront fin à l'éphémère
République Parthénopéènne (4) en 1799. Cimarosa, pour avoir écrit
un hymne en faveur de la République, sera jeté en prison pendant
quatre mois puis exilé à Venise où il mourra en 1801.
Avec Gli
Orazi e i Curiazi Cimarosa donne indubitablement une glorieuse conclusion à l'opéra seria du 18ème siècle. De plus cette oeuvre porte en germe les
prémisses de l'opéra romantique.
Sur
le plan formel, c'est un opéra classique du type de ceux composés
après la réforme de Gluck et Traetta (5). Les choeurs ont un grand rôle
car ils participent à l'action, le récitatif accompagné est
important, les ensembles nombreux. Rien de bien révolutionnaire en
somme.
Ce
qui rend cet opéra remarquable c'est l'intensité de l'action
dramatique. La musique si émouvante de Cimarosa confère à ce mythe
déjà magnifié par Corneille, une nouvelle dimension préromantique.
Il y a aussi une atmosphère de drame antique et aussi de "peplum"
(sans caractère péjoratif donné à ce terme) qui est très
attachante.
Les
airs de cet opéra sont remarquables par leur grande vocalité. Le don mélodique
inimitable Cimarosien s'y déploie avec prodigalité mais sans
complaisance. Toute virtuosité gratuite a disparu, la technique vocale est ici au
service de l'expression, elle vise à exprimer la tendresse, l'amour,
la passion, l'angoisse avec une précision millimétrée. Il faut
citer au premier acte:
-la
célèbre cavatine de Curiazio Quelle pupille tenere...
-le
duettino: Ti giuro il labbro e il core...
-le
splendide air d'Orazia Nacqui è ver...
et
au deuxième acte:
-le
fantastique air d'Orazia Se pieta nel cor...,
chef-d'oeuvre à la fois vocal et instrumental, avec ses
étourdissantes vocalises évoquant Rossini et même Bellini et des interventions incisives des vents: cors, clarinettes et flûtes.
-l'admirable duo d'amour entre Orazia et Curiazio Se torni
vincitor..., sans doute un des plus beaux morceaux de ce genre
de la seconde moitié du 18ème siècle. Il m'évoque un mouvement lent de quatuor à cordes de Joseph Haydn.
Les
ensembles et les choeurs suivants sont spectaculaires:
-le
superbe choeur d'hommes d'abord tragique, ensuite martial qui ouvre
l'acte I de l'opéra.
-le
terzetto Oh Dolce e caro istante..., Orazia, Curiazio et Marco Orazio,
d'abord recueilli puis très dynamique.
-le
martial trio qui termine le premier acte aux cris de Al campo!
All'armi! On remarque la fréquence de vociférations et de chants
guerriers dans cet opéra.
-le
sensationnel duo entre Marco Orazio et le choeur Se alla Patria
ognor donai... (scène 12 de l'acte I). Tandis que Marco Orazio
clame son enthousiasme pour aller au combat, le choeur scande des
slogans guerriers. L'effet est splendide et d'une nouveauté
incroyable. Un ténor héroïque (heldentenor) est requis pour ce
rôle!
-la
scène 11 de l'acte II Sia il cimento... est du même
genre. Cette fois le choeur est opposé à Sabina, Publio Orazio,
Marco Orazio, et Curiazio. Cette scène, encore plus exaltée que la
précédente, est également prophétique et annonce Verdi.
-la
scène la plus célèbre est enfin celle du souterrain Qual
densa notte! précédée par un magnifique prélude
instrumental plein de mystère et suivi par les interventions de
Curiazio, Orazia et Marco Orazio qui chacun à sa manière expriment
leur angoisse et leurs funestes pressentiments.
Cet opéra a inspiré d'autres compositeurs, c'est ainsi que Marcos Antonio Portugal a réalisé en 1798 une nouvelle version de Gli Orazi e i Curiazi à partir de celle de Cimarosa en y ajoutant ou substituant des airs de son cru.
Francesco Gnecco compose en 1803 La Prova di un'opera seria, une spirituelle comédie décrivant les difficultés d'un impresario au cours du montage d'un opéra qui n'est autre que Gli Orazi e i Curiazi de Cimarosa. En 1846, Saverio Mercadante compose un nouvel opera sur le même sujet appelé Orazi e Curiazi.
Le
label Bongiovanni a enregistré une représentation live sous la
direction de Massimo de Bernart (1983). On a pu admirer la
performance de Daniela Dessy (soprano) dans le rôle de Curiazio, de
Katia Angeloni (mezzo soprano) dans celui d'Orazia, de Simone Alaimo
dans celui du grand prêtre, Tai-Li Chu Pozzi dans celui de Sabina et par dessus tout celle de Marco
Bolognesi (ténor) dans le rôle de Marco Orazio. Cette version
eclipse toutes les autres, malheureusement le CD qui a été
enregistré par Bongiovanni est désormais épuisé. Un
enregistrement récent (2006, direction musicale Michael Hoffstetter)
est écoutable en partie sur la toile et a fait l'objet d'un CD. Il
vaut essentiellement grâce à la remarquable mezzo Anna Bonitatibus,
souveraine dans le rôle de Curiazio.
(1)
Rodolfo Celletti, Gli Orazii e i Curiazii, Incisione Bongiovanni,
1983.
(3)
http://en.wikipedia.org/wiki/Gli_Orazi_e_i_Curiazi
(4)
Partenopea = ancienne ville d'Italie à moitié mythique, fondée par
les Grecs à l'emplacement de Naples.
(5) Aux alentours de 1760, Gluck et Calzabigi, d'une part et Tommaso Traetta d'autre part, procèdent à une réforme de l'opéra seria. Ils insèrent dans l'interminable succession d'airs et de récitatifs secs typiques de ce genre musical, des ensembles, des choeurs et des ballets. Leur modèle est évidemment la tragédie lyrique française.
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