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mercredi 3 décembre 2014

La Rondine

Torna al nido la rondine e cinguetta. Elle retourne à son nid, l'hirondelle et gazouille (1).

Copie de l'affiche pour la première italienne de La rondins de Puccini


La Rondine (L’hirondelle) est une Comédie Lyrique composée par Giacomo Puccini sur un livret de Giuseppe Adami. Cette oeuvre fut créée à l'Opéra de Monte Carlo, territoire neutre dans le premier conflit mondial, le 27 mars 1917 où elle obtint seulement un succès d'estime, peut-être du fait du temps de guerre. Par la suite cet opéra fut boudé par le public; c'est l'un des moins joués parmi les opéras du compositeur.

L'argument. Magda, demi-mondaine entretenue par Rambaldo confie au poète Prunier qu'elle n'a jamais connu le véritable amour. Ruggero, un étudiant fait son apparition et demande à la compagnie où peut-on s'amuser à Paris. On lui répond: le bal chez Bullier. Prunier décide d'emmener discrètement Lisette, la bonne de Magda, au bal. Magda se déguise pour aller également chez Bullier. Elle y rencontre Ruggero et danse avec lui. Ils tombent amoureux l’un de l’autre. Lisette qui a reconnu sa maitresse est très ennuyée car elle a "emprunté" une robe et des bijoux de Magda. Rambaldo, furieux, demande des explications à Magda qui lui répond qu'elle a trouvé l'amour et qu'elle a décidé de le quitter. Magda et Ruggero vivent ensemble dans la pauvreté. Lisette et Prunier viennent leur rendre visite et Lisette qui a échoué dans sa tentative de devenir actrice, supplie Magda de la reprendre à son service. La mère de Ruggero dans une lettre touchante accepte Magda comme belle-fille et bénit cette union mais Magda déclare à Ruggero que son passé lui interdit de passer sa vie avec un honnête homme. Elle quitte Ruggero et, comme l'hirondelle, retourne dans son nid.

Le Style. Cette intrigue typiquement Second Empire n’est pas mal ficelée et a le mérite de proposer quelques moments dramatiques forts, des situations comiques, des dialogues spirituels et quelque peu cyniques. Puccini, éternel insatisfait, se mit à douter de sa création et proposa en 1921 et 1923 des conclusions alternatives (dans l'une des deux c'est Ruggero, prévenu par un ami du passé de son amante qui quitte Magda) sans convaincre. De nos jours c'est la version initiale qui est le plus souvent donnée et c'est très bien ainsi car il n'y a rien à redire sur cette conclusion à la fois sobre et émouvante comparable à celle de La Fanciulla del West.
La Rondine est un opéra relativement peu joué y compris de nos jours. Certains critiques considèrent que c'est l'un des moins bons opéras de Puccini, une œuvre transparente, en rien comparable aux grands opéras que sont Tosca, La Bohème ou Madame Butterfly. Les spectateurs eux furent déroutés par un opéra qui ne comporte aucun grand air ou duetto permettant de faire briller les chanteurs et qui en plus dispense un continuum mélodique sans découpe claire des scènes. C'est le plus classique des opéras de Puccini et en même temps le plus moderne. Il est, en tout état de cause, le plus harmonieux du fait d'une orchestration raffinée au service d'un charme mélodique exceptionnel, même chez Puccini. Comme dans La Fanciulla del West, des influences Debussystes sont indéniables, la comparaison avec le Chevalier à la Rose composé par Richard Strauss en 1910 a également du sens. Les livrets n'ont rien à voir bien sûr mais un même esprit suranné et décadent règne dans la musique des deux ouvrages. L'orchestre de La Rondine est imposant (2), il joue la plupart du temps piano voire pianissimo et l’effectif complet est rarement utilisé sauf dans l'acte II. Comme dans Der Rosenkavalier, les rythmes de valse parcourent l'opéra. Une atmosphère nostalgique imprègne le récit qui ne se termine pas par une happy end, loin de là puisque Magda renonce à l’amour et laisse Ruggero désespéré (2).

Les Sommets.
Acte I Une réception chez Magda.
Au debut de l’acte, Prunier et Magda, à tour de rôle, entonnent l’air Chi il bel sogno di Doretta…une musique d’un charme indicible, une mélodie d’une étonnante pureté et simplicité, une orchestre subtil : violons avec sourdine, clarinettes, clarinette basse, harpe, piano et célesta, concourent à créer un moment musical raffiné. Le poète Prunier conte l'histoire de Doretta et Magda s'identifie à cette jeune fille en quête d'amour véritable. Cette mélodie parcourt tout le premier acte.

Après un dialogue Bianca et Magda aux sonorités Debussystes, Magda chante une séduisante mélodie probablement inspirée d’une chanson populaire: Fanciulla è sbocciato l’amore…Là encore un orchestre d’une grande délicatesse dans lequel intervient la clarinette basse, donne à cette scène un charme pénétrant. Un accord du célesta termine la scène de façon mystérieuse.

La dernière scène est un duetto Lisette Prunier. T’amo, menti, no tu sapessi. Le poète traite la soubrette avec condescendance mais cette dernière ne s'en laisse pas conter, scène pleine d'humour contrastant avec l'étrange mélopée chantée par les clarinettes et les bassons et répétée par les deux amants.

Magda décide de tenter sa chance au bal Bullier tandis que l'orchestre reprend pianissimo le thème de Doretta, conclusion d'une troublante poésie. Chez Puccini (Tosca, La Bohème, Turandot, Butterfly...), l'acte I est toujours le plus novateur et le plus riche et c'est le cas ici aussi.

Acte II Le bal chez Bullier.
Comme dans l'acte II de La Bohème, une frénésie, une joie de vivre, une ivresse parcourent cette scène de bal qui est une réussite éclatante.
Le premier duetto Magda Ruggero Nella dolce carezza, est très beau et me fait furieusement penser à certains passages de la Nina ossia la Pazza per Amore de Giovanni Paisiello composée en 1789.

Le quartetto Lisette Prunier Magda Ruggero Dio! Lei! Chi? est très amusant. Lisette a reconnu Magda déguisée en grisette et est très génée de porter les effets et le chapeau de sa patronne.

Le second duetto Magda Ruggero Bevo al tuo fresco sorriso avec choeurs est admirable avec ses harmonies subtiles et ses modulations. C'est au point de vue de la dynamique sonore le point culminant de l'opéra. L'orchestre, le choeur et les voix solistes s'entrelacent dans un tour de force vocal et instrumental.

Acte III. La rupture.
Après un prélude impressioniste, le Duetto Magda Ruggero Amore mio Mia Madre est très émouvant. Ici encore la beauté de l’orchestration laisse pantois.

La scène de rupture est le sommet passionnel de l'oeuvre, No! Non posso riceverlo!, (Je ne peux pas recevoir le baiser de ta mère) Magda avoue à Ruggero qu'elle n'est pas digne de lui et le duetto des deux amants atteint une puissance expressive telle qu'on pense un instant à Wagner. Ce passage est malheureusement trop bref. Puccini rêvait pour ses opéras d'une scène d'amour comparable à celles de Tristan et Isolde et il espéra que l'occasion se manifesterait dans la conclusion de Turandot. Malheureusement ce travail échut à Franco Alfano avec le résultat que l'on sait.
La fin de l'opéra, la voix de Magda résonnant au loin sur un triple pianissimo des cordes en sourdine, est poignante (3).

(1) Dédicace que Puccini envoie à Toscanini.
 (2) Composition de l'orchestre : le quintette à cordes, une flûte piccolo, deux flûtes, deux hautbois, un cor anglais, deux clarinettes en si bémol, une clarinette basse (ou un cor de basset) en si bémol, deux bassons, quatre cors en fa, trois trompettes, trois trombones, un trombone basse, harpe, célesta, glockenspiel, piano, timbales, grosse caisse, cymbales, triangle, tambour.
(3) On lira avec intérêt l'article suivant: La Rondine o del disincanto  Centro Studi Giacomo Puccini http://www.puccini.it/index.php?id=65
(4) Le Jardin des critiques de Radio France du 2 juin 2013, après examen de 7 versions,  conclut à la suprématie de celle chantée par Angela Gheorghiu et Roberto Alagna au MET. Un DVD en a été tiré en 2010 (EMI). La mise en scène de Stephen Barlow est superbe. Angela Gheorghiu, à son meilleur est Magda. Les autres protagonistes et notamment Roberto Alagna (Ruggero) sont excellents. Les choeurs et l'orchestre du Metropolitan Opera sont dirigés par Marco Armiliato.







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