Avec La Terre Mourante, La Geste des
Princes Démons est, à mon avis, l'oeuvre la plus
aboutie de Jack Vance.
Il est de bon ton de dénigrer les
genres littéraires un peu marginaux que sont la Science Fiction ou
l'Heroic fantasy. Pourtant cette littérature de l'imaginaire peut se
révêler particulièrement inventive et créative. C'est exactement
le cas de la Geste des Princes Démons.
Le Cadre. L'action se situe dans
un avenir très lointain. Une invention capitale, l'interscission de
Jarnell, a permis de se mouvoir d'un point A à un point B de la
galaxie presqu'instantanément. L'élaboration de vaisseaux spatiaux
appropriés a entrainé la conquête progressive d'un ensemble de
planètes formant l'Oecumène. Ces
dernières ont évolué séparément en fonction de leurs caractéristiques physiques et les populations se sont différenciées. Deux liens importants les
maintiennent ensemble : la CCPI (compagnie
de Coordination de Police Intragalactique) chargée du maintien de
l'ordre et l'Institut, organisme dont la
fonction sera précisée plus loin. En plus des mondes policés et
civilisés de l'Oecumène, il y a les mondes sauvages, sans état de
droit où toutes sortes de transgressions sont possibles, c'est l'Au
Delà.
Les personnages.
Les Princes Démons. Au nombre
de cinq, ils ont comme point commun d'être au départ des artistes
frustrés ; devenus criminels, ils défient les lois et règnent
à la manière de chefs de maffia, voir de dictateurs dans les
terres qu'ils contrôlent....Ils opérent dans l'Oecumène
mais leur domaine de prédilection est l'Au
Delà où ils peuvent en toute impunité exercer leurs
méfaits : extorsion de fonds, esclavage,....ou bien réaliser
leurs fantasmes.....Ils rivalisent de folie et d'excentricité et
grâce à une entente tacite, se sont, sans doute à regret, partagé
l'univers. Chacun d'eux a fait l'objet d'un roman dont il est le
personnage principal.
Attel Malagate (Le Prince des
Etoiles, The Star King, 1964), brillant universitaire, cherche
à s'emparer d'une planète idyllique que l'homme n'a jamais profanée
pour y établir ses casinos, ses boites de nuit...Il est le seul à
ne pas être humain...
Kokkor Hekkus (La Machine à
tuer, The killing machine, 1965), a transformé la planète
Thamber en terrain de recherches médiévales expérimentales.
Ses troupes sont équipées d'armures et combattent avec boucliers,
lances et épées et la ville où il est retranché est entourée de
murailles. Auteur d'un ouvrage théorique intitulé Théorie et
pratique de la terreur, il cherche à produire la terreur la plus
extrême chez les êtres qu'il a soumis, pour ce faire il a analysé
toutes les composantes de la terreur chez ses cobayes humains. En
agissant sur certaines d'entr'elles, il peut déclencher à volonté
une peur panique chez ses victimes.
Viole Falushe (Le Palais de
l'Amour, The Palace of Love, 1967), est un psychopathe et
délinquant sexuel, il a réduit une planète en esclavage, et a
institutionnalisé la prostitution pour asseoir ses revenus. Il a
construit un palais : Le Palais de l'Amour où il se nourrit des sensations érotiques et des émotions de ses invités.
Lens Larque (Le Visage du Démon,
The Face, 1984), est le plus énigmatique, nul ne connait son
visage et ses motivations restent mystérieuses au yeux de tous.
Howard Alan Treesong (Le livre
des Rêves, The book of Dreams, 1984), adepte du chaos, est le
plus ambitieux des cinq, il s'est infiltré dans l'Institut
et projette de s'emparer de cette organisation qui le rendra maître
de l'Oecumène. Deux personnages cohabitent en lui, l'un doté d'une
énergie dévorante, est ancré au réel, l'autre se projette dans un
monde imaginaire où il est le suzerain d'un groupe de paladins, dont
les hauts faits sont consignés dans un livre (Le livre des rêves)
qu'il écrit au jour le jour..Ces deux destins parallèles se
rejoignent au moment de la mort du dernier des Princes Démons.
Kirth Gersen. Lors d'une razzia
effectuée sur la planète Providence, les
Princes Démons, exceptionnellement associés, ont massacré
la population et emmené en esclavage, femmes et enfants. Kirth
Gersen, échappé du massacre, a consacré toute sa vie à la
vengeance. C'est le personnage central de toute l'épopée. Dans Les
cinq volumes de la saga, il parviendra, grâce à son astuce, son
courage et ses erreurs, à éliminer ses adversaires l'un après
l'autre. Chaque roman fonctionne comme un roman policier, usant de
déguisements, stratagèmes divers, chaque Prince Démon finira par
être démasqué par Gersen puis éliminé.
L'intrigue policière ne constitue pas
l'essentiel du propos mais donne l'occasion à Vance de déployer ses
talents de conteur, de décrire des planètes fascinantes, des
peuples étonnants, des coutumes cruelles ou pittoresques, des
systèmes politiques variés....
Les Princes
Démons, personnages bariolés, baroques, barbares, rivalisent
d'excentricité par leur ramage et leur plumage (sauf Lens Larque
qu'on ne voit jamais), on sent bien que leur créateur est fasciné
par eux. Le justicier Kirth Gersen qui occupe tout le terrain, est
gris, terne mais en fin du compte c'est lui qui vaincra. Une fois les
Princes Démons éliminés, l'Oecumène
sera plus ennuyeux qu'auparavant et Gersen, privé de ses ennemis,
sombrera dans la dépression.
Les Institutions de l'Oecumène
L'Institut. En théorie, cet
organisme vise à promouvoir la science au service de l'humanité et
de réglementer son usage.
L'humanité n'a rien appris de ses
erreurs passées, des divinités nouvelles sont apparues ainsi que
leurs fanatiques zélateurs. Des guerres de religions féroces ont
ravagé le système de Véga (1). En face des religions et
leur obscurantisme, l'Institut mise sur
la connaissance et la raison, il s'appuie sur la croyance que le
bonheur de l'homme est basé sur l'effort et le dépassement de soi.
C'est dans l'adversité et la lutte contre un environnement hostile
que s'affirme la grandeur de l'homme. l'Institut
exalte ainsi l'homme naturel des premiers âges et fustige l'homme
socialisé qu'une société trop organisée, a déresponsabilisé....
L'admission à l'Institut se fait sur concours ouvert à des hommes et des femmes de toutes conditions. Ensuite les adeptes
peuvent grimper dans la hiérarchie, d'abord assez facilement puis
beaucoup plus difficilement, en franchissant des degrés au nombre
d'une centaine. En bas de la pyramide, les adeptes sont très
nombreux, à partir du dégré 70, leur nombre diminue drastiquement.
En haut de la hiérarchie se trouve la dixade, c'est-à-dire les dix
adeptes ayant franchi le degré 90. Au sommet se trouve la triade,
trois adeptes garants de l'institution possédant les numéros 100,
101 et 102. L'avancement se fait par les capacités intellectuelles
et certaines épreuves non précisées. Ce système est accusé par
ses détracteurs de fréner le progrès social, il est toutefois
clair que l'Institut dont les idées
apparaissent globalement réactionnaires, a la faveur de l'écrivain.
Interéchanges. L'astronef
permettant aux criminels une fuite facile vers l'Au Delà, les enlèvements destinés
à soutirer de l'argent se multiplient. Pour éviter les situations
dramatiques et tout particulièrement les assassinats d'otages, les
autorités tolèrent l'existence d'un établissement :
Interéchanges, destiné à faciliter le
payment en toute sécurité d'une rançon en échange de la
libération d'un otage (2).
Le style. L'action ne devant pas
être noyée par un flot de détails., la prose de Vance est concise,
directe et mise sur l'efficacité. Un humour discret est toujours
présent en filigrane. Curieusement les contrées que nous décrit
Vance ressemblent plus aux pays de l'ancienne Terre qu'aux mondes
futurs bourrés de technologie auxquels la science fiction nous a habitué. Les
cabines téléphoniques avec lesquelles Gersen s'entretient avec ses
connaissances, font sourire. Comme toujours ce sont les comportements
humains modelés par l'environnement qui intéressent Vance.
Chaque chapitre des cinq romans est
précédé d'un texte assimilable à une didascalie, expliquant et
précisant les points abordés dans le chapitre. On n'y trouvera
aucune explication technique : l'interscission de Jarnell reste
un concept poétique et son fonctionnement n'intéresse pas l'auteur
(3-5). Par contre les systèmes sociaux divers, les civilisations
baroques, les villes remontant au passé le plus lointain des mondes
visités sont minutieusement décrits. A la suite de cette notice
explicative, courent deux ou trois histoires fantastiques basées sur
des légendes, des contines ainsi que des extraits du Livre des
rêves. La traduction en langue française est excellente.
- Le livre des rêves. Plus encore que dans ses autres romans, Vance manifeste ici sa méfiance vis à vis des religions, accusées d'être des instruments de pouvoir.
- Le fonctionnement d'Interéchanges est détaillé dans la Machine à Tuer, opéra galactique en trois actes. Le payment de la rançon de 10 milliards d'UVS (Unités de Valeur Standard) par Gersen pour libérer Alusz Ifigenia Eperje Tokay qui s'est enlevée elle-même et a rejoint Interéchanges afin d'échapper à Kokkor Hekkus, termine de façon rocambolesque l'acte II du roman.
- Dans le Palais de l'Amour, l'action se passe en partie sur Terre dans un port Flamand (Anvers?) et il y règne une ambiance vieillote que Georges Simenon aurait sans doute appréciée.
- L'univers décrit par Vance ne repose sur aucune donnée scientifique comme cela a été noté dans :http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Prince_des_étoiles
- On lira avec intérêt une étude critique de ce cycle : http://www.noosfere.com/Icarus/livres/serie.asp?numserie=1990
Vous écrivez : "L'action ne devant pas être noyée par un flot de détails., la prose de Vance est concise, directe et mise sur l'efficacité."
RépondreSupprimerHum.... Je ne suis pas entièrement d'accord avec vous : on pourrait croire en vous lisant que c'est écrit très sèchement, pourtant J. Vance a un style magnifique, très imagé et évocateur, avec un humour très anglo-saxon. Personnellement, j'adore !
Merci pour votre remarque. Vous avez raison, Jack Vance est un conteur remarquable et j'adore son style et son humour. Toutefois ses descriptions collent toujours étroitement au fil de l'action. C'est cela que je voulais dire.
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