La sciantosa, personnage incontournable du café-chantant napolitain |
Une
génération sacrifiée.
Valentino
Fioravanti (1764-1837), Francesco Gnecco (1769-1810), Giovanni
Simone Mayr (1763-1845), Luigi Mosca (1775-1824), Gaspare Spontini
(1774-1851),..... appartiennent à une génération intermédiaire
entre celle de Domenico Cimarosa (1748-1801) et Joseph Haydn
(1732-1809) d'une part, illustrant le classicisme à son apogée et celle de
Gioachino Rossini (1792-1868), Gaetano Donizetti (1797-1848) ou
Vincenzo Bellini (1801-1835) d'autre part, représentants incontournables du bel
canto romantique. Cette position explique en partie pourquoi ces
compositeurs, en dépit de leur grand talent, sont quasiment oubliés
de nos jours.
Le
Cantatrici Villane
(Les cantatrices villageoises), texte de G.Palomba, librettiste
attitré de Paisiello et de Cimarosa et musique de Valentino
Fioravanti
a été donné pour la première fois à Naples en 1798 au Teatro
dei Fiorentini.
Le sujet, un impresario
aux prises avec sa troupe,
a été traité de nombreuses fois au cours du 18ème siècle dans
les opéras suivants: La Dirindina (Domenico Scarlatti, 1715), La
Canterina (Giuseppe Haydn, 1766); L'Impresa d'Opera (Pietro
Alessandro Guglielmi, 1769); L'Impresario in Angustie et Il Maestro
di Capella (Cimarosa, 1786 et 1790 respectivement); Prima la Musica e
poi le Parole (Salieri, 1786), Der Schauspieldirektor (Mozart, 1786)
ainsi qu'au début du 19ème siècle: La Prova d'un'Opera seria
(Francesco Gneco, 1803); I Virtuosi Ambulanti (Fioravanti, 1807); Le
Convenienze e inconvenienze Teatrali (Donizetti, 1827).
Le
Cantatrice Villane est peut-être le chef-d'oeuvre du genre. Le
tempérament comique de celui que Cimarosa traitait de clown s'y
exerce pleinement dans une satire désopilante mais aussi
clairvoyante du milieu théatral(1,2).
Synopsis.
Don Bucefalo, musicien médiocre, est subjugué par le chant de
quatre villageoises (Rosa, Agata, Nunziella, Giannetta) et leur
propose d'être leur impresario. Flattées, elles posent comme
condition de recevoir un enseignement musical. Don Bucefalo qui s'est
épris de Rosa, demande à Don Marco, son élève, chanteur raté,
secrètement amoureux de Rosa, de prêter un clavecin indispensable
pour les leçons de chant. Don Marco consent de le prêter à
condition de faire partie de la troupe comme chanteur. Alors que les
chanteuses se disputent le rôle envié de "prima donna",
Carlino, mari de Rosa, que l'on croyait mort, débarque déguisé en
officier espagnol et assiste furieux aux assauts galants de Don
Bucefalo et Don Marco. Pour couronner le tout Don Marco qui n'a peur
de rien, veut adapter l'Ezio de Metastase pour monter un opera seria.
Lorsque la confusion est à son comble, Carlino révèle son identité
et d'un coup de baguette magique, ainsi qu'avec l'aide des gens
d'armes, tout rentre dans l'ordre, Rosa retrouve son époux et la
pièce pourra être préparée dans une (relative) sérénité.
Le Style.
On a là un livret typiquement bouffe et non dépourvu d'ironie que
Fioravanti avec son sens inné de l'invention mélodique, de l'effet
comique et de la caractérisation poussée des personnages va traiter
magistralement en évitant les effets faciles et la vulgarité. Cette
trame est constamment spirituelle et amusante mais est dépourvue de
la critique sociale mordante de la Dirindina par exemple composée au
début du siècle par Domenico Scarlatti sur un sujet voisin. Les
temps avaient changé et la censure veillait à Naples avec le retour
des Bourbons en 1800. L'oeuvre est également intégrée dans la vie
de la capitale du royaume car Don Marco et Bucefalo, personnages
locaux, s'expriment dans un dialecte napolitain enchanteur. On
remarque aussi un effort inhabituel, dans ce répertoire,
d'élaboration musicale ainsi que le rôle de premier plan de
l'orchestre, partenaire à parts égales des acteurs. La comparaison
avec l'oeuvre de Gioachino Rossini s'impose immédiatement mais la
musique de Fioravanti se passe des effets un peu faciles du
compositeur de Pesaro, notamment son utilisation abusive de toute une
quincaillerie sonore : trombones sonnant à toute volée,
cymbales et grosse caisse intempérantes (3).
Les
sommets
-Dans
le quintette introductif, le très beau thème principal est d'abord
chanté par les aspirantes cantatrices, ce sujet est ensuite repris
par l'orchestre tandis que les jeunes femmes soutenues par Don
Bucefalo (basso buffo) chantent une mélodie toute différente,
l'effet est d'une harmonie merveilleuse. On remarque aussi un passage
très poétique : Amore, amore, tu
m'hai da consolare...sur une musique populaire napolitaine
utilisée auparavant par Cimarosa (L'Italiana in Londra) et Paisiello
(Pulcinella vendicato).
-Le
sommet de l'oeuvre est sans doute le génial trio du premier acte:
Io
diro se nel gestire...,
dans lequel les chanteuses, aspirant devenir la
prima donna,
rivalisent d'audace dans leurs vocalises. La sonorité magnifique de
ce terzetto, obtenue avec un petit orchestre de chambre évoque
Rossini à son meilleur.
-Dans
l'air de Carlino Dov'è
la fé giurata...,
le brillant solo de clarinette rappelle le rôle de cet instrument
dans la Clémence de Titus de Mozart.
-La
leçon de chant Apri
la bocca et fa' come fo io...est
un épisode désopilant associant toute cette joyeuse bande. Par ses
vastes dimensions ce septuor pourrait être un vrai finale d'acte.
Pour aider les apprenties chanteuses, Don Bucefalo chante la partie
de contrebasse en onomatopées.
-L'étourdissant
finale du premier acte est un feu d'artifice d'invention mélodique
mis en valeur par un tissu orchestral brillant et incisif.
Dans
le deuxième acte, on remarque :
-L'irresistible
duetto Carlino-Don Bucefalo, A
noi coraggio...
autre morceau très Rossinien.
-Le
grand air de Rosa Misera
dove son....
La chanteuse se moque d'abord de l'opera seria avec ses lourdeurs et
ses conventions de manière désopilante puis prend son rôle au
sérieux dans de belles vocalises napolitaines accompagnées par un
orchestre très entreprenant.
-Le
brillant quartetto voi
da me cosa bramate ?,
associant avec beaucoup d'art les bois et les voix humaines.
Discographie. Il
existe un enregistrement du label Bongiovanni datant de 1992. Il
s'agit d'une reconstruction réalisée par Roberto Tigani.
L'interprétation est à la hauteur de l'oeuvre. Le rôle de Don Bucefalo est
magistralement chanté par Giorgio Gatti (basso buffo) qui
domine la distribution. Les autres rôles sont également bien joués,
en particulier Rosa (Maria Angeles Peters) et Carlino (Ernesto
Palacio). On peut reprocher à l'excellente chanteuse qu'est Maria
Angeles Peters son utilisation abusive du vibrato et du
portamento, procédés sans doute à but comique ou parodique,
mais lassants à la longue. Le recitatif secco est très soigné et
les dialogues entre Don Bucefalo et Don Marco en dialecte napolitain
particulièrement savoureux. Cet enregistrement est disponible.
Un
enregistrement beaucoup plus ancien (1951) est aussi disponible. Vocalement
supérieur au précédent du fait de la présence des meilleurs
chanteurs de ce répertoire (Sesto Bruscantini, Alda Noni, Franco
Calabrese, Agostino Lazzari, Direction musicale : Mario Rossi),
il est handicapé par de larges coupures qui rendent son contenu
incohérent.
Enfin
en 1998, Roberto de Simone, musicologue spécialiste du chant
traditionnel napolitain a réalisé une version folklorisante de cet
opéra en y intégrant le célèbre chanteur populaire Gianni
Lamagna. Je ne connais malheureusement pas cette version introuvable.
(2)
Roberto Tigani, Alessandra Doria, Le Cantatrice Villane, Incisione
Bongiovanni, 1992.
(3)
http://www.ilcorrieredellagrisi.eu/2011/12/opera-napoletana-iv-le-cantatrici-villane-di-v-fioravanti/
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