I. Des balbutiements d'un trio de jeunesse
aux chefs d'oeuvre de la maturité
Le trio pour clavier, violon et
violoncelle classique est un genre musical qui a pris de l'importance
à partir de la deuxième moitié du 18ème siècle en partie grâce
à Joseph Haydn (1732-1809) qui avec quarante trois trios, a réalisé
une contribution majeure dans ce domaine. Il est vrai que la
vingtaine de trios composés après 1784 sont des chefs-d'oeuvre
absolus comparables en variété et en inspiration aux meilleurs
concertos pour piano de Wolfgang Mozart (1756-1791) (1).
La contribution de Mozart au genre
musical du trio est très modeste avec six œuvres en tout dont deux
au moins sont loin d'être des chefs-d'oeuvre mais les quatre
restants doivent absolument être connus.
![]() |
Wolfgang Mozart, portrait peint en 1777, oeuvre médiocre mais très ressemblante d'après Leopold Mozart. |
Dans les premiers trios classiques, le
clavier (clavecin ou pianoforte) a la part du lion, le violon a une
partie moins importante, quant au violoncelle, il est réduit à la
portion congrue et se borne à doubler timidement la basse du piano
(2). Cette répartition des rôles, commune à la plupart des trios
composés après 1750, notamment ceux de Johann Schobert (?-1767)
opus XVI pour clavecin, violon et violoncelle composés vers 1765 ou
encore les dix sept trios de Joseph Haydn composés entre 1760 et
1771, montre clairement que le trio avec pianoforte classique ne
dérive pas de la sonate en trio baroque qui possède deux voix de
dessus d'importance égale (3) et le continuo mais de la sonate
baroque pour instrument soliste (violon, flûte...) et continuo qui
ne possède qu'une voix de dessus. Cette distribution des rôles
perdurera dans tous les trios de Joseph Haydn y compris ceux des
périodes londoniennes et post-londoniennes ainsi que dans les
nombreux trios plus tardifs de Leopold Kozeluch (1747-1818) et Ignaz
Pleyel (1757-1831). Cette asservissement du violoncelle à la basse
du piano est justifiée par Charles Rosen (4). Selon cet auteur, la
sonorité délicate des pianoforte de l'époque devait être
renforcée par le violoncelle, rôle rappelant celui de la basse
d'archet dans le continuo à l'époque baroque.
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Beethoven fera voler en éclats cette conception avec son trio en mi
bémol majeur opus 1 de 1793 qui, en donnant au violoncelle un rôle
aussi important que celui du violon, composera peut-être le premier
véritable trio moderne de l'histoire de la musique. Pourtant
quelques intuitions géniales étaient nées bien avant cette date.
Ainsi Dietrich Buxtehude (1637-1707) composa vers 1695 deux séries
opus 1 et 2 de sept trios pour violon, basse de viole et continuo
dans lesquelles la viole de gambe s'affranchit presque totalement de
la basse du clavecin et a une partie aussi importante que celle du
violon. Ces œuvres puissantes et novatrices n'eurent pratiquement
pas de postérité car les compositeurs baroques de la grande
époque : Jean Sébastien Bach, Georg Friedrich Haendel, Antonio
Vivaldi, etc...écrivirent le plus souvent des sonates en trio avec
deux dessus et le continuo. Toutefois Georg Philipp Telemann fera
exception dans une une vingtaine de sonates en trio pour un dessus
(violon ou flûte) et une viole de gambe avec une distribution des
rôles similaire aux sonates de Buxtehude.
![]() |
Johann Schobert, portrait par un artiste inconnu |
Trio n° 1 en si bémol majeur K 254
On ne sait pas du tout ce qui motiva Mozart pour composer un trio isolé en 1776. Le trio n° 1 K 254, libellé, divertimento pour clavecin ou fortepiano, violon et violoncelle est une œuvre rapidement écrite . Sa facilité, l'absence de toute élaboration thématique font du premier mouvement, allegro assai, un morceau agréable mais sans profondeur, correspondant bien au titre, divertimento, de l'oeuvre entière. Le thème profond de l'adagio élève ce morceau infiniment au dessus de l'allegro précédent et ce mouvement est de loin le plus intéressant de l'oeuvre. Le refrain du rondo final est ravissant et témoigne du don mélodique exceptionnel du jeune Mozart. Malheureusement les couplets de ce rondo ne brillent pas par leur inspiration. Le rôle du violoncelle déjà très réduit dans les autres mouvements, devient quasi inexistant au point que Mozart oublie quasiment cet instrument dans le deuxième couplet. En composant facile et court, Wolfgang suit les conseils paternels et se conforme à l'idéal galant des années 1775 à Salzbourg qui voit les divertissements, concertos, sérénades proliférer au détriment des symphonies ou des quatuors à cordes, genres réputés plus sérieux. Une telle œuvre se situe bien en deçà des sonates en trio pour clavecin, violon et violoncelle obligé, opus XVI de Johann Schobert. Ces dernières composées avant 1767, date de la mort du musicien silésien, sont bien plus consistantes, inventives et riches de musique que ce premier essai du salzbourgeois qui, avouons-le, n'apporte pas grand chose à sa gloire.
On ne sait pas du tout ce qui motiva Mozart pour composer un trio isolé en 1776. Le trio n° 1 K 254, libellé, divertimento pour clavecin ou fortepiano, violon et violoncelle est une œuvre rapidement écrite . Sa facilité, l'absence de toute élaboration thématique font du premier mouvement, allegro assai, un morceau agréable mais sans profondeur, correspondant bien au titre, divertimento, de l'oeuvre entière. Le thème profond de l'adagio élève ce morceau infiniment au dessus de l'allegro précédent et ce mouvement est de loin le plus intéressant de l'oeuvre. Le refrain du rondo final est ravissant et témoigne du don mélodique exceptionnel du jeune Mozart. Malheureusement les couplets de ce rondo ne brillent pas par leur inspiration. Le rôle du violoncelle déjà très réduit dans les autres mouvements, devient quasi inexistant au point que Mozart oublie quasiment cet instrument dans le deuxième couplet. En composant facile et court, Wolfgang suit les conseils paternels et se conforme à l'idéal galant des années 1775 à Salzbourg qui voit les divertissements, concertos, sérénades proliférer au détriment des symphonies ou des quatuors à cordes, genres réputés plus sérieux. Une telle œuvre se situe bien en deçà des sonates en trio pour clavecin, violon et violoncelle obligé, opus XVI de Johann Schobert. Ces dernières composées avant 1767, date de la mort du musicien silésien, sont bien plus consistantes, inventives et riches de musique que ce premier essai du salzbourgeois qui, avouons-le, n'apporte pas grand chose à sa gloire.
![]() |
Leopold Kozeluch par Wilhelm Ridley (1797) |
Trio n° 2 en sol majeur K 496
Difficile de dire ce qui a poussé
Mozart à reprendre ce genre musical en 1786 soit dix ans plus tard
et à composer son deuxième trio. Peut-être, est-il
influencé par Joseph Haydn. Ce dernier recommence à composer des
trios en 1784 (trios n° 18 à 23) après avoir abandonné ce genre
pendant près de vingt ans. On assiste d'ailleurs à cet époque à
un engouement général pour ce genre musical comme le montrent les
nombreux trios composés en 1784 par Leopold Kozeluch et Ignaz
Pleyel. C'est probablement en commençant une nouvelle sonate pour
pianoforte en sol majeur que l'idée de la transformer en trio par
l'adjonction d'un violon et d'un violoncelle, vient à l'esprit de
Mozart comme le montre l'examen du manuscrit du premier mouvement
(5). En tout état de cause, un fossé sépare ce magnifique trio,
chef-d'oeuvre de la maturité du maître, des balbutiements du trio
de 1776.
Le premier thème du premier mouvement Allegro, très chantant et remarquablement étendu, est exposé
par le piano seul, le violon n'entrant en scène qu'à la dix
huitième mesure. Le deuxième thème est lui aussi très développé
et donne lieu à une extension expressive partagée entre violon et
piano dans un climat de douce sérénité. A partir du développement
on entre dans une composition nouvelle. Ce développement entièrement
construit sur le premier thème donne une part importante au
violoncelle qui jusque là s'était montré très discret. Les trois
instruments s'engagent dans une confrontation dramatique, émaillée
de modulations audacieuses jusqu'à la rentrée. Celle-ci est
semblable à l'exposition jusqu'à la fin du morceau.
Le sublime andante en ut majeur est le
sommet de l'oeuvre et, à mon humble avis, un des plus beaux mouvements
lents de Mozart. Ce dernier inaugure ici une manière toute nouvelle
chez lui de composer en bâtissant le morceau sur un thème unique.
Cet andante, un des plus élaborés de Mozart, est, selon Jean Victor Hocquart, l'oeuvre d'un "technicien
scientifique de la musique" (6). Nul doute que le contact
prolongé avec l'oeuvre de Joseph Haydn est à l'origine de cette
technique compositionnelle que l'on retrouvera chez Mozart dans
plusieurs oeuvres de 1786 (trio des quilles KV 498, quatuor
Hoffmeister KV 499...) et aussi à partir de 1789. On ne peut non
plus négliger le rôle probable de l'influence de Muzio Clementi (1752-1832) sur
le Mozart de 1786. On admire en particulier un passage où le thème
unique du mouvement est présenté en imitations aux deux instruments
à cordes et entre les deux mains du pianiste jusqu'à une étonnante
modulation romantique de sol majeur à la bémol majeur qui change
complètement l'éclairage et fait apparaitre des couleurs plus
sombres et quasi schubertiennes. Le développement (en fait tout est
développement dans ce morceau) consiste en un travail harmonique et
contrapuntique très raffiné sur le thème de l'andante, assorti de
modulations pathétiques. Ce morceau génial se termine par une coda
en imitations entre les trois instruments (on croit entendre cinq
voix!). Malgré la sévérité de ce mouvement, Mozart reste entier
avec son charme inimitable et sa profondeur.
Avec l'allegretto avec variations
final, on retrouve la sérénité du début du 1er mouvement. Mozart
avait d'abord peut-être songé à une solution différente, un tempo
di minuetto, andantino (7). Comme le tempo de ce dernier ne
contrastait peut-être pas suffisamment avec celui du 2ème
mouvement, Mozart lui a préféré une série de six variations sur
un thème charmant, allegretto. Le sommet du morceau est
incontestablement la géniale variation mineure, écrite dans un
style contrapuntique serré dans laquelle les trois instruments
possèdent chacun une voix indépendante. C'est toutefois la ligne
mélodique du violoncelle qui ressort car elle est la plus dramatique
avec un crescendo dans l'expression au fur et à mesure que la
mélodie s'enfonce dans les profondeurs de l'instrument. Ce passage
extraordinaire m'évoque fugitivement Gabriel Fauré (1845-1924) et son très
beau trio en ré mineur opus 120 pour la même formation. A la fin du
morceau le retour de la variation mineure apporte une touche d'ombre
rapidement dissipée par de joyeux accords conclusifs.
En conclusion, bien que ce trio
témoigne de l'influence de Joseph Haydn, la personnalité de Mozart
ressort de façon très évidente (5). Le rôle du violoncelle y est
relativement important , en cela Mozart se démarque de la plupart de
ses contemporains y compris Joseph Haydn. A l'examen de la partition,
on voit même que Mozart évite de doubler la basse du piano par le
violoncelle en donnant à ce dernier des motifs bien distincts. Ce
rôle du violoncelle préfigure celui que cet instrument aura dans
les premiers trios de Beethoven (1793). Mozart serait-il sur le point
de créer un nouveau genre musical ? C'est ce que nous dira
l'examen des quatre trios suivants.
- http://haydn.aforumfree.com/f13-trios-pour-piano-violon-et-violoncelle
- T. de Wizewa et G. de Saint Foix, W.A. Mozart, vol. 2, Le jeune maître, Desclée de Brouwer, Paris, 1936
- Christopher Hogwood, The Trio Sonata, BBC Music Guides, London, 1979.
- Charles Rosen, Le style classique : Haydn, Mozart, Beethoven, Tel – Gallimard, 2000.
- T. de Wizewa et G. de Saint Foix, W.A. Mozart, vol.4, L'Epanouissement, Desclée de Brouwer, 1937.
- Jean Victor Hocquart, Mozart, Editions du Seuil, 1970.
- Actuellement intégré dans le trio K 442 qui est un pasticcio imaginé par l'abbé Stadler, réunissant trois esquisses de trio pour pianoforte, violon et violoncelle de Mozart. Le premier mouvement est un magnifique fragment allegro de 55 mesures en ré mineur. Le second mouvement Tempo di minuetto en sol majeur, comptant 155 mesures, s'arrêtait après le développement et était donc quasiment achevé quand Mozart décida de le mettre de côté. Avec 133 mesures composées par Mozart, le troisième mouvement était également bien avancé et s'arrêtait après le développement. De structure sonate, il s'agissait dans l'esprit de Mozart du premier mouvement d'un trio en ré majeur qui ne vit jamais le jour. Dans ces deux derniers mouvements l'abbé Stadler n'avait plus qu'à recopier la première partie, par contre il est l'auteur de la plus grande partie du premier mouvement. Bien que non authentique ce trio K 442 possède l'intérêt de révéler de la belle musique de Mozart.
- B. Dermoncourt, Dictionnaire Mozart, Robert Laffon 2005, p. 981-9.
- Les illustrations, libres de droits, sont tirées de Wikipedia que nous remercions.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire