La Symphonie
n° 99 en mi bémol majeur,
composée par Joseph Haydn en 1793 à Vienne entre les deux voyages
en Angleterre, fut créée à Londres le 10 février 1794. Première de
la deuxième série de symphonies Londoniennes (n° 99 à 104), c'est
à cette date la plus richement orchestrée des symphonies du maître d'Eszterhàza car
pour la première fois, deux clarinettes figurent dans l'effectif
orchestral (1).
Bélisaire demandant l'aumône (1780), Jacques Louis David, Palais des Beaux-Arts de Lille |
Des six dernières symphonies Londoniennes, la symphonie n° 99 est la seule à n'avoir pas de surnom peut-être par ce qu'aucun détail pittoresque, aucune anecdote, aucun programme ne semblent avoir présidé à sa naissance (2).
La douleur d'Andromaque (1783) Jacques Louis David, Musée du Louvre |
Dès le premier accord fortissimo de l'introduction Adagio, on perçoit un changement frappant de sonorité par rapport aux symphonies précédentes, un gain de puissance et de moelleux apporté par les deux clarinettes sans aucun doute. Ces dernières jouent parfois à l'unisson dans leur registre aigu et ressortent très nettement de la masse orchestrale (mesures 46 et 47 par exemple). On a dit de cette symphonie (comme de la précédente, la n° 98 en si bémol majeur) qu'elle était un hommage à Mozart. Effectivement dans l'Adagio introductif, on entend un motif très semblable à un motif du deuxième mouvement (adagio) du quintette en ré majeur KV 593 (3). Ce motif aboutit à un unisson de tout l'orchestre sur un do bémol et un point d'orgue mystérieux. Le do bémol devient si bécarre par enharmonie et le thème initial reparaît au hautbois soutenu par un accord de septième de dominante de si majeur des cordes. Le Vivace assai qui suit est une structure sonate volontaire et dynamique. Le premier thème, énergique tout en étant souple domine toute l'exposition. Le second thème très original, léger et spirituel est exposé piano par les premiers violons doublés par la clarinette, il termine l'exposition. On note pendant toute cette première partie, l'importance de l'harmonie (bois et cuivres). Le développement donne une part à peu près égale aux deux thèmes, le premier donne lieu à une lutte acharnée prodigieusement beethovénienne quant au second il fait l'objet d'une merveilleuse conversation entre pratiquement tous les pupitres. Lors de la réexposition, le second thème discret lors de l'exposition prend de plus en plus d'importance pour atteindre à la fin un sommet de puissance lorqu'il est énoncé par les violoncelles et contrebasses au dessous d'un fortissimo de tout l'orchestre.
L'Adagio en sol majeur est une structure sonate à deux thèmes également très différenciés. Le premier thème est méditatif avec un sentiment presque religieux, il est d'abord exposé par les cordes, puis en imitations par les bois seuls (flûtes, hautbois, bassons), passage sublime qui conduit au second thème, un des plus beaux chants de Haydn, exposé par les violons et richement harmonisé par tout l'orchestre. Dans le développement très dramatique, basé en partie sur le second thème, les cuivres et les timbales interviennent avec force. La réexposition est d'abord similaire à l'exposition: le thème I est exposé par les violons mais avec une harmonisation un peu différente. Le second exposé du thème appartient aux cordes et non plus aux bois. Le second thème aux allures de cantique, donne lieu à une extension très intense, une marche harmonique conduisant à un fortissimo scandé violemment par les trompettes et les cors. Un dernier exposé du second thème, devenu prépondérant dans cette reprise, met un point final à ce magnifique adagio.
Le menuetto, Allegretto, très original débute sur l'accord parfait descendant de mi bémol. Au début énergique et tendu, le mouvement s'assouplit et prend à la fin de la première partie le rythme d'une valse. Le trio débute ex abrupto en ut majeur, tonalité qui, après l'accord de mi bémol majeur qui termine le menuetto, est très surprenante. Pendant tout ce trio aux allures de Laendler, le hautbois double le premier violon. Une transition de plusieurs mesures permet le passage en douceur cette fois de la tonalité d'ut majeur du trio au mi bémol majeur du menuetto.
Le finale Presto est un rondo sonate. Le refrain comporte un double exposé des deux parties du thème exposé pianissimo, il est suivi par un intermède comportant un second thème. Ce dernier est une des créations les plus originales et raffinées de Haydn, il se compose de courts motifs, tous différents circulant très rapidement à travers des instruments de tessiture et de timbres souvent aux antipodes. On entend successivement, les clarinettes, la flûte unie au basson, le hautbois au cor, les violoncelles aux violons, le basson au hautbois, la flûte à la clarinette, les violons au cor, les violoncelles. Chaque fragment n'a pas de sens mélodique per se mais leur juxtaposition et leur superposition créent la mélodie. C'est d'une technique éblouissante et le résultat est musicalement merveilleux. L'exposé du refrain aboutit au couplet central qui est un formidable développement contrapuntique sur les deux premières mesures du refrain d'une virtuosité à couper le souffle. Les entrées canoniques se succèdent à tous les pupitres mais malgré la complexité de l'écriture, la lisibilité est parfaite et ce mouvement vertigineux aboutit à un nouvel exposé du refrain clamé cette fois forte par tout l'orchestre puis s'arrêtant sur un point d'orgue. Une brillante péroraison de l'orchestre enchaine sur le magique second thème et ce mouvement à la fois rigoureux, spirituel, plein d'humour s'achève sur un fortissimo. La structure du rondo sonate adoptée ici est particulièrement appropriée, elle évite toute répétition et permet une invention continue et un développement perpétuel (5).
La
symphonie n° 99 est
probablement la moins jouée des six dernières Londoniennes. Malgré
cela, elle a été enregistrée par les orchestres les plus connus.
J'avais à ma disposition les versions d'Antal
Dorati (orchestre
de chambre de Lausanne), Adam
Fischer (Orchestre
Austro-Hongrois), Frans Brüggen (orchestre du 18 ème siècle)
et Nikolaus
Harnoncourt (Concertgebouw
d'Amsterdam, 1990).
Premier mouvement. C'est Harnoncourt qui donne au portique Adagio toute sa noblesse et sa grandeur. Dans le Vivace assai, Harnoncourt adopte un tempo un peu plus retenu que Fischer, Brüggen et Dorati et donne ainsi une plus grande puissance et majesté à ce splendide mouvement. Harnoncourt confère au second thème la plus riche palette d'expression. Léger, quasiment Rossinien au début, ce thème acquiert de la profondeur dans le développement pour supplanter le premier thème dans la conclusion. Net avantage à Harnoncourt dans ce mouvement.
Le tempo adopté par Harnoncourt dans le second mouvement Adagio est un peu plus lent que chez ses trois concurrents. Il m'est difficile de les départager, chacun proposant une lecture très convaincante. Toutefois les bois (excellent basson) de l'orchestre austro-hongrois m'ont semblé plus émouvants et plus intenses dans ce mouvement, tandis que les violons anciens de Brüggen ont davantage de caractère. Ma préférence va à Fischer et Brüggen.
Haydn a indiqué Allegretto pour le Menuetto et le trio. Harnoncourt les joue arbitrairement Allegro assai sinon Presto. Au lieu d'un menuetto nous avons sous sa baguette un scherzo beethovénien comme Haydn en écrira cinq ans plus tard dans ses quatuors de l'opus 76 et 77. Le résultat n'est pas choquant mais musicalement discutable. Dans le trio, les premiers violons pratiquent un léger portamento, quasi glissando alla Mahler. La filiation Haydn-Mahler a plusieurs fois été évoquée dans la littérature. Dans le cas de ce trio au charme agreste suffisamment évocateur per se, je ne suis pas convaincu par l'initiative de Harnoncourt. Avantage à Brüggen, Fischer et Dorati.
Le quatrième mouvement Vivace est un des plus spectaculaires de toutes les symphonies de Haydn et Harnoncourt est vraiment à la hauteur de la situation. Il propose une lecture puissante, souple, musclée d'une merveilleuse clarté dans le deuxième thème à l'articulation si subtile et dans les prouesses contrapuntiques du développement. Avantage à Harnoncourt.
Harnoncourt prend plus de risques que ses collègues et arrive en tête du quatuor dans deux mouvements sur les quatre. Evidemment bien d'autres versions sont disponibles c'est pourquoi la présente comparaison ne prétend pas sélectionner la meilleure exécution.
(1) 2 clarinettes en plus des 2 hautbois, 2 flûtes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 2 timbales et cordes.
Premier mouvement. C'est Harnoncourt qui donne au portique Adagio toute sa noblesse et sa grandeur. Dans le Vivace assai, Harnoncourt adopte un tempo un peu plus retenu que Fischer, Brüggen et Dorati et donne ainsi une plus grande puissance et majesté à ce splendide mouvement. Harnoncourt confère au second thème la plus riche palette d'expression. Léger, quasiment Rossinien au début, ce thème acquiert de la profondeur dans le développement pour supplanter le premier thème dans la conclusion. Net avantage à Harnoncourt dans ce mouvement.
Le tempo adopté par Harnoncourt dans le second mouvement Adagio est un peu plus lent que chez ses trois concurrents. Il m'est difficile de les départager, chacun proposant une lecture très convaincante. Toutefois les bois (excellent basson) de l'orchestre austro-hongrois m'ont semblé plus émouvants et plus intenses dans ce mouvement, tandis que les violons anciens de Brüggen ont davantage de caractère. Ma préférence va à Fischer et Brüggen.
Haydn a indiqué Allegretto pour le Menuetto et le trio. Harnoncourt les joue arbitrairement Allegro assai sinon Presto. Au lieu d'un menuetto nous avons sous sa baguette un scherzo beethovénien comme Haydn en écrira cinq ans plus tard dans ses quatuors de l'opus 76 et 77. Le résultat n'est pas choquant mais musicalement discutable. Dans le trio, les premiers violons pratiquent un léger portamento, quasi glissando alla Mahler. La filiation Haydn-Mahler a plusieurs fois été évoquée dans la littérature. Dans le cas de ce trio au charme agreste suffisamment évocateur per se, je ne suis pas convaincu par l'initiative de Harnoncourt. Avantage à Brüggen, Fischer et Dorati.
Le quatrième mouvement Vivace est un des plus spectaculaires de toutes les symphonies de Haydn et Harnoncourt est vraiment à la hauteur de la situation. Il propose une lecture puissante, souple, musclée d'une merveilleuse clarté dans le deuxième thème à l'articulation si subtile et dans les prouesses contrapuntiques du développement. Avantage à Harnoncourt.
Harnoncourt prend plus de risques que ses collègues et arrive en tête du quatuor dans deux mouvements sur les quatre. Evidemment bien d'autres versions sont disponibles c'est pourquoi la présente comparaison ne prétend pas sélectionner la meilleure exécution.
(1) 2 clarinettes en plus des 2 hautbois, 2 flûtes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 2 timbales et cordes.
(2)
Rappelons ici les surnoms des six dernières Londoniennes: Pas de
surnom pour la 99,
Militaire pour la 100, Horloge pour la 101, Miracle pour la 102 (la
chute d'un lustre eut lieu durant l'exécution de la n° 102 et non
pas de la n° 96 en ré majeur comme on le dit généralement),
Roulement
de timbales pour la 103, Londres pour la 104.
(3) Mozart et Haydn se virent à la fin de l'année 1790. A cette occasion il est possible qu'ils déchiffrèrent ensemble le quintette à cordes avec deux altos en ré majeur KV 593 inscrit dans le catalogue personnel de Mozart en décembre 1790.
(4) Les illustrations sont dans le domaine public et libres de droits. Elles proviennent de l'article sur Jacques Louis David paru dans Wikipedia que je remercie.
(5) Pour en savoir plus sur les 107 symphonies de Joseph Haydn, on peut lire: Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard 1988.
(3) Mozart et Haydn se virent à la fin de l'année 1790. A cette occasion il est possible qu'ils déchiffrèrent ensemble le quintette à cordes avec deux altos en ré majeur KV 593 inscrit dans le catalogue personnel de Mozart en décembre 1790.
(4) Les illustrations sont dans le domaine public et libres de droits. Elles proviennent de l'article sur Jacques Louis David paru dans Wikipedia que je remercie.
(5) Pour en savoir plus sur les 107 symphonies de Joseph Haydn, on peut lire: Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard 1988.
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