Wolfgang
Mozart,
musique
Lorenzo
Da Ponte,
livret
Dramma giocoso en deux actes, créé le 29 octobre 1787 à Prague
Christian Curnyn, direction musicale
Marie-Eve Signeyrole, mise en scène, conception vidéo
Fabien Teignié, Décors
Yashi, costumes
Nicolas Descoteaux, lumières
Yann Philippe, Claire Willemann, vidéos
Simon Hatab, dramaturgie
Nicolai Borchev, Don Giovanni
Michael Nagl, Leporello
Jeanine De Bique, Donna Anna
Sophie Marilley, Donna Elvira
Alexander Sprague, Don Ottavio
Patrick Bolleyre, Il Commendatore
Anaïs Yvoz, Zerlina
Igor Mostovoï, Masetto
Choeurs de l'ONR (direction Christoph Heil)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Jeudi 22 juin 2019
Dramma giocoso en deux actes, créé le 29 octobre 1787 à Prague
Christian Curnyn, direction musicale
Marie-Eve Signeyrole, mise en scène, conception vidéo
Fabien Teignié, Décors
Yashi, costumes
Nicolas Descoteaux, lumières
Yann Philippe, Claire Willemann, vidéos
Simon Hatab, dramaturgie
Nicolai Borchev, Don Giovanni
Michael Nagl, Leporello
Jeanine De Bique, Donna Anna
Sophie Marilley, Donna Elvira
Alexander Sprague, Don Ottavio
Patrick Bolleyre, Il Commendatore
Anaïs Yvoz, Zerlina
Igor Mostovoï, Masetto
Choeurs de l'ONR (direction Christoph Heil)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Jeudi 22 juin 2019
J'ai découvert Don Giovanni par le
disque. Pendant de nombreuses années, la simple écoute de cet opéra suffisait à mon bonheur. Ce n'est que
relativement récemment que j'ai découvert ce qu'une mise en scène
appropriée pouvait apporter à la perception et la compréhension de
ce chef-d'oeuvre.
L'impression
ressentie après avoir vu le spectacle de l'opéra du Rhin est globalement positive. La
mise en scène est inventive. L'idée de faire participer le public
est intéressante, elle s'appuie sur les expériences (appelées
performances) de Marina
Abramovic,
plasticienne spécialisée en art corporel. L'artiste se tient face
au public qu'elle laisse interagir avec son propre corps au moyen de
72 objets disposés sur une table. Au terme de ces expériences qui
la laissèrent à moitié déshabillée et ensanglantée, l'artiste
déclara que si vous
vous abandonnez complètement au public, il peut vous tuer.
A l'instar de la plasticienne, Don Giovanni assis immobile dans son
costume blanc reçoit, un à un, les personnages issus de la scène
et du public. Ces derniers sont munis des 14 instruments dont un
rasoir, une canne de golf, un révolver, une seringue, une
poire..., décrits dans une vidéo projetée sur un écran, et font
subir à Don Giovanni et sur eux-mêmes, un certain nombre de sévices
et d'agressions.
Quand l'ouverture
retentit, la scène comporte différents lieux publics et plusieurs
rangées de chaises disposées comme au spectacle. Périodiquement
des spectateurs volontaires sont convoqués pour monter sur scène et
participer aux actions se déroulant sur le plateau. Don Giovanni est
assis sur son siège, une jeune femme s'assoit en face de lui, se
taillade les veines avec un rasoir et meurt. L'opéra démarre
ensuite avec la tentative de viol sur Anna et le meurtre du
Commandeur. Une double action se déroule, celle qui est décrite
dans la dramaturgie et une autre qui est le regard que porte le
public et tout particulièrement les femmes sur Don Giovanni. A la
fin les deux actions se rejoignent lors de l'exécution du héros.
Les modalités de cette dernière, minutieusement programmée, sont
décrites à l'aide de la video.
Les vidéos constituent
une partie importante de la scénographie, elles permettent, grâce
à un écran géant, de projeter une captation live du spectacle en
gros plans ainsi que des parties du spectacle qui ne peuvent être
montrées sur scène, faute de place, comme des vues de corps dénudés
et emmêlés évoquant les orgies organisées par Don Giovanni ou
encore des extraits de films cultes.
Au plan musical et
dramatique, ce traitement pose problème car en sollicitant
puissamment le spectateur vers ce qui se passe sur une scène
grouillant de personnages et sur les vidéos, il détourne l'auditeur
de ce qui est la raison d'être du spectacle, c'est-à-dire la
musique. La mise en scène et la scénographie semblent oublier que
c'est finalement la musique qui, chez Mozart, véhicule l'action
dramatique. Quand à l'acte II, Donna Elvira chante son air fameux
Mi tradi quell'alma ingrata, l'attention de l'auditeur est
attirée par la vidéo très érotique citée plus haut et ne peut se
concentrer autant qu'il faudrait sur la musique. Cet air est pour moi
un chef-d'oeuvre vocal et instrumental et un sommet Mozartien absolu
même si c'est une pièce rapportée, composée à l'instigation de
la Cavalieri qui interrompt la progression dramatique à ce stade de
l'action. On dirait que Marie-Eve Signeyrole a cherché à tout prix
à meubler cette scène à ses yeux désespérément vide. Cette
profusion de personnages, d'intentions, de clins d'oeil est certes
palpitante mais rend le spectacle un peu confus et brouille quelque
peu les cartes. Ces réserves une fois faite, il faut reconnaître
que le spectacle est inventif et pourvu de scènes superbes comme de belles idées. La représentation de Don Giovanni en loup dans un contexte de
travestissement, soulignant le côté prédateur du héros est à mes yeux une trouvaille. La
direction d'acteurs était excellente mais j'ai été
gêné par le changement qui s'opère chez Donna Anna qui révèle de
plus en plus son attirance pour le bourreau de son père, sacrifiant
ainsi aux poncifs romantiques. Il est vrai que son fiancé Ottavio
qui mange des choux à la crème en réponse à ses déclarations
d'amour, n'est pas très attirant.
Le sextuor, début de l'acte II. Elvira, Zerlina, Masetto, Leporello, Anna, Ottavio, photo Klara Beck |
Si on peut émettre
quelques réserves sur la mise en scène, par contre l'interprétation
vocale est de toute beauté. Nicolaj Borchev, baryton, a composé un
remarquable Don Giovanni, personnage en souffrance, vivant
perpétuellement dans le présent, se lançant dans des conquêtes
amoureuses toujours recommencées, ignorant les conséquences de ses
actes. L'engagement de ce chanteur était formidable et sa voix, à
la hauteur de l'enjeu notamment dans la sérénade enjôleuse
délicatement accompagnée par une mandoline, Deh, vieni alla
finestra. Michael Nagl, basse, campa un Leporello à la belle
voix bien timbrée dans le grave et fut souverain dans l'air du
catalogue ainsi que dans l'extraordinaire sextuor de l'acte II, Sola,
sola in buio loco, sommet dramatique de l'opéra. Alexander
Sprague donna vie à un Ottavio vocalement idéal. Sa superbe voix de
ténor magnifiquement projetée, notamment dans Dalla sua pace,
donnait du panache à un rôle quelque peu ingrat de soupirant
énamouré, hérité de l'opéra seria baroque. Igor Mostovoï
(Masetto) défendit crânement son personnage d'une voix de baryton
bien articulée. Le rôle du commandeur est petit mais capital et
j'ai été enchanté par la prestation de Patrick Bolleyre qui
m'impressionna par l'ampleur, la puissance de ses graves et sa
contribution décisive à la grandeur de la formidable scène finale
qui compensait le rôle restreint que la mise en scène lui avait
dévolu. Jeanine De Bique incarna une magnifique Donna Anna,
notamment dans l'extraordinaire récitatif accompagné de l'acte I,
Don Ottavio, son morta, un sommet dans l'opéra baroque et
classique. Jeanine De Bique a tout pour elle, une voix au timbre
chaleureux et au grain fin, des aigus très purs et une typologie
vocale proche de celle d'une soprano dramatique, tout à fait
appropriée au rôle. Après le noble personnage de Rodelinda, elle
s'est approprié celui de Donna Anna. Avec Sophie Mariley (soprano),
pas de surprises, cette chanteuse confirmée livra une remarquable
Elvira, assumant son rôle d'épouse bafouée, elle en donna une
image énergique et combattante avec une belle voix au timbre très
plaisant, et au beau phrasé notamment dans Mi tradi. Avec un
duetto mythique, deux airs, et une participation dans divers
ensembles, le rôle de Zerlina est très important et fut assuré
avec beaucoup de charme et une présence scénique indéniable par
Anaïs Ivoz de l'Opéra Studio, une jeune artiste dont le potentiel
révélé déjà dans Mouton et dans La princesse arabe est
considérable. Son interprétation du célèbre La ci darem la
mano mit en évidence une voix superbement projetée au timbre
agréablement acidulé.
Après une ouverture
rondement menée, l'orchestre philharmonique me déçut un peu dans
la première partie de l'acte I notamment dans le premier air de
Zerlina Batti, batti, o bel Masetto. Dans cet air merveilleux
avec violoncelle obligé, à l'orchestration délicieuse, je
ressentis un sentiment de malaise, peut-être du à un décalage
entre le chant, l'orchestre et le violoncelle solo et j'attribuai ce
problème à une scène surchargée propice à la confusion. De
manière générale, le chef Christian Curnyn, objet dans la presse
de critiques acerbes pour sa manière de diriger, trouva à mon avis
le tempo giusto dans la plupart des ensembles et des airs.
Félicitations à l'orchestre pour la scène de la mort de Don
Giovanni, impressionnante au plan musical. Des trombones à la
superbe sonorité donnèrent à cette scène sa majesté et sa
grandeur toute Gluckiennes. Christian Curnyn revendique l'usage
d'instruments modernes dont il apprécie les couleurs mais il est
probable que des instruments d'époque, des cordes en boyau nu, des
trompettes et des cors naturels auraient donné à l'orchestre une
pâte plus nerveuse.
Vu l'ambition du projet et
l'investissement en temps et travail pour le mener à bien, on peut
regretter qu'il ne subsiste, à ma connaissance, aucune trace de ce
spectacle. Il s'agit pourtant d'un Don Giovanni de haut niveau
musical doté d'une mise en scène sortant résolument des sentiers
battus et renouvelant le mythe.
Ayant visionné plusieurs
versions de Don Giovanni, celle (Rhorer/Sivadier) créée à Aix en
Provence (2017) et tout récemment celle (Chaslin/Livermore) créée
à Orange (2019), il m'apparaît que celle de Curnyn/Seygnerole tient
haut la main sa place en occupant un créneau original.
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