Autel du Saint Sacrement (Eucharistie) par Dirk Bouts le Vieux |
Dans
une lettre datée du 4 septembre 1776, Wolfgang Mozart
(1756-1791) écrit au Padre Martini (1706-1784)
pour l'informer des contraintes imposées aux compositeurs de musique
d'église à Salzbourg depuis l'avènement de Hyeronymus
von Colloredo (1732-1812) comme
Archevêque. Les restrictions concernent essentiellemennt la durée
de l'ordinaire de la messe qui ne doit pas dépasser 45 minutes
tandis que sont prohibés les développements trop longs, les
démonstrations de virtuosité vocale et les fugues (1).
Si
la plupart des messes composées en 1776 et 1777, exception faite de
la Missa longa K1 262, suivent ces recommandations et sont des
messes relativement brèves sans fugues, ce n'est pas le cas des
litanies K 243, une vaste composition comportant neuf sections et
présentant une grande variété de styles dans lesquels on sent bien
que Mozart a voulu s'affranchir des contraintes imposées par
Colloredo.
Ostensoir de l'église Saint Martin, Ham-sur-Heure, Belgique, 17ème siècle. |
Les
litanies en mi bémol majeur K 243 (Litaniae de Venerabili Altaris Sacramento), composées en mars 1776, sont
grandes par leurs dimensions et par la richesse de leur
instrumentation comportant deux hautbois, deux flûtes, deux bassons,
deux cors, trois trombones, alto, ténor et basse, le quintette à
cordes, avec les altos divisés (2) et un violoncelle solo, orgue,
choeur mixte, solistes (soprano, alto, ténor et basse).
L'inspiration de Mozart y atteint une richesse étonnante, mêlant
hardiment la polyphonie du passé, des ensembles très dramatiques et
des airs concertants. Dans ces derniers, il se montre bien plus à
l'aise que dans les litanies précédentes car ces airs, débarrassés
des oripeaux de l'opéra seria, ont une spontanéité, un naturel et
même un caractère populaire autrichien typique des année
1776-1777. Pour connaître les paroles de ces litanies du Saint
Sacrement on peut consulter le document (3) ou bien la partition (4). Toutes les sections se terminent par la supplication Miserere nobis (Ayez pitié de nous).
Saint Thomas d'Aquin, auteur d'un Office du Saint Sacrement par Francisco Herrera el Moro |
D'emblée
le Kyrie eleison
nous met dans l'ambiance. La tonalité de mi bémol majeur apporte sa
plénitude à une introduction magnifique des cordes. Les solistes
entrent en jeu avec un thème plein de noblesse et de ferveur, repris
immédiatement par le choeur. Dans ce choeur de supplication, c'est
la confiance dans la bonté divine qui prévaut. On reconnaîtra
peut-être sur les paroles Christe
eleison, quelques bribes
du Gott Erhalte den
Kaiser composé vingt
ans plus tard par Joseph Haydn
(1732-1809).
Panis
Vivus en si bémol
majeur. C'est un air du ténor solo précédé par une longue
introduction orchestrale. Le thème joué par les violons, un accord
parfait de si bémol, ne sera pas oublié par Mozart et sera utilisé
tel quel, confié au trombone solo dans le Tuba
mirum du Requiem K1 626.
Verbus
caro factum habitans in nobis (Verbe
fait chair, vivant en nous),
Largo en sol mineur. Dans cette séquence qui résume le Crédo
chrétien, l'inspiration de Mozart atteint des sommets. Le choeur
entonne une mélodie de caractère baroque et l'orchestre dessine une
magnifique figure d'accompagnement. On admire aussi les contrastes de
nuances saisissants sur les paroles Miserere
nobis.
Hostias
sancta (Victime
Sainte) en ut majeur.
Les solistes procèdent par couples de deux: soprano et ténor, alto
et basse et dialoguent avec le choeur de la manière la plus vivante.
Alfred Einstein note l'hardiesse des harmonies sur les paroles
Miserere nobis et évoque même Giuseppe Verdi
(5). Ici aussi les contrastes de nuances sont frappants.
Tremendum
ac Vivificum Sacramentum
en ut mineur. Adagio. Sommet de ces litanies, cette séquence nous
montre l'étendue du génie dramatique de Mozart. Les paroles
"Sacrement redoutable qui donne la vie" stimulent sa force
créatrice et Mozart signe ici un de ses choeurs les plus élaborés,
comparable aux pages les plus tragiques du Requiem. Les trombones qui dans les autres morceaux doublent les voix d'alto, ténor et basse ont
ici un rôle plus important, distinct des voix du choeur.
Dulcissimum
convivum en fa majeur.
Andantino. Le ton change et c'est un soprano qui avec simplicité et
grâce est chargée de relater ce" banquet le plus doux servi
par les anges". Les flûtes remplacent ici les hautbois dans
l'accompagnement.
Viaticum
in Domino morientium en
sol mineur. Andante. Voici une des pages les plus étranges de
Mozart, chef-d'oeuvre vocal et instrumental censé représenter
l'onction aux mourants. Le choeur chante un choral à l'unisson, il
est accompagné par les pizziccatti des violons et des basses, les
altos divisés avec sourdine, le choeur des trombones et les bois, il
en résulte une alchimie sonore extraordinaire. On pense à la Prière
d'Idoménée au troisième acte de l'opéra éponyme ou encore au
Choral des hommes d'armes de la Flûte Enchantée.
Pignus
futurae gloriae en mi
bémol majeur. Une fugue grandiose débute aux basses, elle est
construite sur l'opposition entre le sujet principal de fugue
dominateur en style baroque sur les paroles Pignus
futurae gloriae et une
réponse piano de style "moderne" sur les mots miserere
nobis. Plus loin un
troisième sujet vient s'insérer dans cette trame. Comme dans la
Missa Longa K 262 contemporaine, Mozart fait un peu étalage de sa
science et le Padre Martini aurait peut-être critiqué le caractère
insuffisamment musical de son contrepoint mais dans l'ensemble la
réussite est incontestable. Cette fugue témoigne aussi de l'influence de Michael Haydn (1737-1806).
L'Agnus
Dei en si bémol majeur,
Andantino est un solo de soprano d'une grande séduction mélodique.
Il est accompagné par un violoncelle solo doublé par un hautbois,
combinaison très harmonieuse que Joseph Haydn reproduira (dans un
contexte musical très différent) dans le sublime Largo de sa
symphonie n° 88.
Miserere
nobis en mi bémol
majeur, Andante. Pour terminer ces litanies, Mozart a choisi de
reprendre le beau thème du Kyrie, choix judicieux car comme dans ce
dernier, il s'agit ici de paroles de supplications. Dans la coda,
Mozart trouve ici des accents indicibles pour terminer ce
chef-d'oeuvre dans la ferveur.
Alfred
Einstein conclut son commentaire par les mots: Qui
ne connait pas ces litanies ne peut se targuer de connaître Mozart
(5).
- Marc Vignal, Michaël Haydn, bleu nuit éditeur, 2009.
- Les altos étaient généralement absents dans l'orchestre des compositions religieuses salzbourgeoises de Mozart
- Alfred Einstein, W.A. Mozart, Sa vie et son oeuvre, Desclée de Brouwer, 1957.
- Pour en savoir plus: Karina Zybina, The litanies of W.-A. Mozart and the Salzburg tradition, PHD thesis, Salzburg Universität, 2017.
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