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mercredi 13 novembre 2019

Litanies K 243 de Mozart Attention chef-d'oeuvre‬



Autel du Saint Sacrement (Eucharistie) par Dirk Bouts le Vieux

Dans une lettre datée du 4 septembre 1776, Wolfgang Mozart (1756-1791) écrit au Padre Martini (1706-1784) pour l'informer des contraintes imposées aux compositeurs de musique d'église à Salzbourg depuis l'avènement de Hyeronymus von Colloredo (1732-1812) comme Archevêque. Les restrictions concernent essentiellemennt la durée de l'ordinaire de la messe qui ne doit pas dépasser 45 minutes tandis que sont prohibés les développements trop longs, les démonstrations de virtuosité vocale et les fugues (1).
Si la plupart des messes composées en 1776 et 1777, exception faite de la Missa longa K1 262, suivent ces recommandations et sont des messes relativement brèves sans fugues, ce n'est pas le cas des litanies K 243, une vaste composition comportant neuf sections et présentant une grande variété de styles dans lesquels on sent bien que Mozart a voulu s'affranchir des contraintes imposées par Colloredo.

Ostensoir de l'église Saint Martin, Ham-sur-Heure, Belgique, 17ème siècle.

Les litanies en mi bémol majeur K 243 (Litaniae de Venerabili Altaris Sacramento), composées en mars 1776, sont grandes par leurs dimensions et par la richesse de leur instrumentation comportant deux hautbois, deux flûtes, deux bassons, deux cors, trois trombones, alto, ténor et basse, le quintette à cordes, avec les altos divisés (2) et un violoncelle solo, orgue, choeur mixte, solistes (soprano, alto, ténor et basse). L'inspiration de Mozart y atteint une richesse étonnante, mêlant hardiment la polyphonie du passé, des ensembles très dramatiques et des airs concertants. Dans ces derniers, il se montre bien plus à l'aise que dans les litanies précédentes car ces airs, débarrassés des oripeaux de l'opéra seria, ont une spontanéité, un naturel et même un caractère populaire autrichien typique des année 1776-1777. Pour connaître les paroles de ces litanies du Saint Sacrement on peut consulter le document (3) ou bien la partition (4). Toutes les sections se terminent par la supplication Miserere nobis (Ayez pitié de nous).

Saint Thomas d'Aquin, auteur d'un Office du Saint Sacrement par Francisco Herrera el Moro

D'emblée le Kyrie eleison nous met dans l'ambiance. La tonalité de mi bémol majeur apporte sa plénitude à une introduction magnifique des cordes. Les solistes entrent en jeu avec un thème plein de noblesse et de ferveur, repris immédiatement par le choeur. Dans ce choeur de supplication, c'est la confiance dans la bonté divine qui prévaut. On reconnaîtra peut-être sur les paroles Christe eleison, quelques bribes du Gott Erhalte den Kaiser composé vingt ans plus tard par Joseph Haydn (1732-1809).

Panis Vivus en si bémol majeur. C'est un air du ténor solo précédé par une longue introduction orchestrale. Le thème joué par les violons, un accord parfait de si bémol, ne sera pas oublié par Mozart et sera utilisé tel quel, confié au trombone solo dans le Tuba mirum du Requiem K1 626.

Verbus caro factum habitans in nobis (Verbe fait chair, vivant en nous), Largo en sol mineur. Dans cette séquence qui résume le Crédo chrétien, l'inspiration de Mozart atteint des sommets. Le choeur entonne une mélodie de caractère baroque et l'orchestre dessine une magnifique figure d'accompagnement. On admire aussi les contrastes de nuances saisissants sur les paroles Miserere nobis.

Hostias sancta (Victime Sainte) en ut majeur. Les solistes procèdent par couples de deux: soprano et ténor, alto et basse et dialoguent avec le choeur de la manière la plus vivante. Alfred Einstein note l'hardiesse des harmonies sur les paroles Miserere nobis et évoque même Giuseppe Verdi (5). Ici aussi les contrastes de nuances sont frappants.

Tremendum ac Vivificum Sacramentum en ut mineur. Adagio. Sommet de ces litanies, cette séquence nous montre l'étendue du génie dramatique de Mozart. Les paroles "Sacrement redoutable qui donne la vie" stimulent sa force créatrice et Mozart signe ici un de ses choeurs les plus élaborés, comparable aux pages les plus tragiques du Requiem. Les trombones qui dans les autres morceaux doublent les voix d'alto, ténor et basse ont ici un rôle plus important, distinct des voix du choeur.

Dulcissimum convivum en fa majeur. Andantino. Le ton change et c'est un soprano qui avec simplicité et grâce est chargée de relater ce" banquet le plus doux servi par les anges". Les flûtes remplacent ici les hautbois dans l'accompagnement.

Viaticum in Domino morientium en sol mineur. Andante. Voici une des pages les plus étranges de Mozart, chef-d'oeuvre vocal et instrumental censé représenter l'onction aux mourants. Le choeur chante un choral à l'unisson, il est accompagné par les pizziccatti des violons et des basses, les altos divisés avec sourdine, le choeur des trombones et les bois, il en résulte une alchimie sonore extraordinaire. On pense à la Prière d'Idoménée au troisième acte de l'opéra éponyme ou encore au Choral des hommes d'armes de la Flûte Enchantée.

Pignus futurae gloriae en mi bémol majeur. Une fugue grandiose débute aux basses, elle est construite sur l'opposition entre le sujet principal de fugue dominateur en style baroque sur les paroles Pignus futurae gloriae et une réponse piano de style "moderne" sur les mots miserere nobis. Plus loin un troisième sujet vient s'insérer dans cette trame. Comme dans la Missa Longa K 262 contemporaine, Mozart fait un peu étalage de sa science et le Padre Martini aurait peut-être critiqué le caractère insuffisamment musical de son contrepoint mais dans l'ensemble la réussite est incontestable. Cette fugue témoigne aussi de l'influence de Michael Haydn (1737-1806).

L'Agnus Dei en si bémol majeur, Andantino est un solo de soprano d'une grande séduction mélodique. Il est accompagné par un violoncelle solo doublé par un hautbois, combinaison très harmonieuse que Joseph Haydn reproduira (dans un contexte musical très différent) dans le sublime Largo de sa symphonie n° 88.

Miserere nobis en mi bémol majeur, Andante. Pour terminer ces litanies, Mozart a choisi de reprendre le beau thème du Kyrie, choix judicieux car comme dans ce dernier, il s'agit ici de paroles de supplications. Dans la coda, Mozart trouve ici des accents indicibles pour terminer ce chef-d'oeuvre dans la ferveur.

Alfred Einstein conclut son commentaire par les mots: Qui ne connait pas ces litanies ne peut se targuer de connaître Mozart (5).

  1. Marc Vignal, Michaël Haydn, bleu nuit éditeur, 2009.
  2. Les altos étaient généralement absents dans l'orchestre des compositions religieuses salzbourgeoises de Mozart
  1. Alfred Einstein, W.A. Mozart, Sa vie et son oeuvre, Desclée de Brouwer, 1957.
  2. Pour en savoir plus: Karina Zybina, The litanies of W.-A. Mozart and the Salzburg tradition, PHD thesis, Salzburg Universität, 2017.


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