Il
Fanatico Burlato,
commedia
per musica,
musique de Domenico
Cimarosa (1749-1801),
livret de Francesco
Saverio
Zini,
fut crée à Naples au printemps 1787 au teatro del Fondo. L'oeuvre
connut une carrière plus qu'honorable et fut représentée dans
plusieurs capitales européennes dont Paris avec comme titre
l'Entiché
de noblesse dupé (1791).
Selon certaines sources, elle fut inscrite au répertoire
d'Eszterhàza et fut dirigée par Joseph
Haydn (1732-1809)
(1).
Les treize ou quatorze opéras
de Domenico
Cimarosa représentés
à Eszterhàza sous la direction de Joseph
Haydn sont
énumérés dans l'ordre de leur composition:
L'Infedelta
fedele (1779),
l'Italiana
in Londra (1779),
Il Falegname (1780),
Giunio Bruto (1781),
Il
Pittor Parigino (1781),
Giannina
e Bernardone (1781),
La
Ballerina amante
(1782),
l'Amor Costante (1782),
I
due Baroni di Rocca Azzurra (1783),
Chi dell'altrui si veste (1783),
Il
Marito disperato (1785),
I due Supposti Conti (1784),
l'Impresario
in Angustie (1786),
Il
Credulo (1786)
et Il
fanatico burlato.
A noter que Haydn a repris le livret de l'Infedele
fedele
pour sa magnifique Fedelta
premiata (2,5).
Domenico Cimarosa peint en 1785 par Francesco Saverio Candido |
Les
qualités qui font de Le trame deluse
(1786) le chef-d'oeuvre de Cimarosa (3), nous les trouvons encore
dans ce nouvel opéra avec un caractère plus satirique et plus
grinçant.
Entiché
de noblesse, Don Fabrizio s'est autoproclamé Barone del Cocomero (4)
. Pour être comblé, il souhaite pour sa fille, Doristella, un
mariage avec un vrai noble. Justement le comte Romolo, un romain, est
tombé amoureux de Doristella et est en route vers Naples pour
l'épouser. Malheureusement pour lui, Doristella s'est amourachée de
Lindoro, un vagabond sans le sou. Grâce à un déguisement, Lindoro
se fait passer pour le comte et donne ensuite à la compagnie des
leçons de bonnes manières françaises. Afin d'échapper aux
desseins de son père, Doristella s'enfuit et se cache dans une
cabane de berger, Lindoro s'enfuit également de son côté. Les
fugitifs qu'on croit être des voleurs sont attrapés par Fabrizio et
le vrai comte Romolo et on s'aperçoit avec stupeur qu'il s'agit de
Doristella et du faux comte. Romolo a compris la situation et
chevaleresquement renonce à ses projets matrimoniaux. Il s'associe à
Lindoro pour punir Fabrizio et dans ce but tend un piège à ce
dernier. Lindoro se déguise en grand Scaratafax, Prince des Iles
Moluques et demande à Fabrizio la main de sa fille, en échange
Fabrizio sera nommé Grand Mammaluco et deviendra ainsi un grand
dignitaire de la cour. Fabrizio, ébloui, accepte et le mariage du
grand Scaratafax et Doristella est proclamé. Les espoirs de Fabrizio
s'évanouissent quand il découvre la supercherie (5).
Parazzo Duodo, Campo Sant'Angelo, Venise où mourût Cimarosa, photo par Didier Descouens, Wikipedia |
Le
livret contient la plupart des ingrédients susceptibles de plaire au
public de l'époque. Les conflits
de générations, un personnage atteint de monomanie, le
retour à la nature et
l'exotisme font
oublier le caractère stéréotypé des caractères et des
situations. Cimarosa en tira le meilleur partie possible. Cimarosa
va ici plus loin que dans ses opéras précédents en donnant à
l'orchestre un
rôle inusité jusque là. Dès les premières mesures de la
sinfonia, les clarinettes
confèrent
à l'orchestre une coloration romantique très attachante. Dans
certains ensembles, l'orchestre ne se contente plus d'accompagner
mais devient un acteur
principal du drame qui
se joue. Les deux actes sont terminés par de longs
finales constitués de morceaux enchainés et sont en
plus parcourus par des
ensembles qui,
à mon avis, sont les sommets dramatiques de l'opéra. Ainsi les airs
quoique remarquables, ne sont plus les moteurs de l'action (ils la
ralentiraient plutôt), ce rôle est maintenant dévolu aux
récitatifs secs et surtout aux ensembles. Ces derniers sont enfin
bien plus polyphoniques et élaborés que par le passé.
Tout serait à citer dans cet opéra.
Tout serait à citer dans cet opéra.
Acte
I
L'air de Doristella, scène 2, "Va tra l'erbe, tra le piante..." est un air de type pastoral où Doristella exprime son vague à l'âme en évoquant la beauté de la nature. Le folklore napolitain est perceptible dans cet air.
Le magnifique ensemble, scène 5, "Tutto pien di reverenzia" est désopilant. Lindoro, déguisé en comte, donne des leçons de bonnes manières françaises à Doristella sous le regard admiratif de Fabrizio. Cette scène utilise deux ariettes françaises dont voici le début de l'une d'entre elles: "La charmante fille, elle fait l'amour (6), et le veillard reste enchanté...". La musique d'abord très calme, devient plus agitée au fur et à mesure de l'excitation croissante des trois personnages. A la fin Doristella dit toujours en français: "Arrêtez, la tête me tourne, je vais tomber...", l'orchestre démarre un fugato, repris par les trois voix tout à fait inattendu dans un opéra de Cimarosa, qui exprime parfaitement l'agitation quasi frénétique qui saisit les personnages.
Le remarquable finale "Che faro che mi risolvo?" est composé d'épisodes à la chaine du même type que ceux que Joseph Haydn composa bien avant dans la Fedelta premiata (1780). Le plus dramatique d'entre eux est le magnifique quintette "Papà mio caro e bello", un vaudeville dans lequel chaque protagoniste, quittant son déguisement, y va de son couplet: Doristella désigne Lindoro comme le vrai comte; Giannina s'exclame: lo sposo, il conte è quello (le comte est celui-là), montrant du doigt Romolo; Lindoro se prétend le seul comte; l'authentique comte c'est moi, dit Romolo à son tour; et Fabrizio exprime son désarroi: la fille n'est pas la fille, l'époux n'est pas l'époux,le comte n'est pas le comte, Fabrizio n'est plus Fabrizio. Dans l'ensemble final la métaphore d'une sinistre forêt dans une nuit noire est utilisée pour exprimer la confusion de tous.
L'air de Doristella, scène 2, "Va tra l'erbe, tra le piante..." est un air de type pastoral où Doristella exprime son vague à l'âme en évoquant la beauté de la nature. Le folklore napolitain est perceptible dans cet air.
Le magnifique ensemble, scène 5, "Tutto pien di reverenzia" est désopilant. Lindoro, déguisé en comte, donne des leçons de bonnes manières françaises à Doristella sous le regard admiratif de Fabrizio. Cette scène utilise deux ariettes françaises dont voici le début de l'une d'entre elles: "La charmante fille, elle fait l'amour (6), et le veillard reste enchanté...". La musique d'abord très calme, devient plus agitée au fur et à mesure de l'excitation croissante des trois personnages. A la fin Doristella dit toujours en français: "Arrêtez, la tête me tourne, je vais tomber...", l'orchestre démarre un fugato, repris par les trois voix tout à fait inattendu dans un opéra de Cimarosa, qui exprime parfaitement l'agitation quasi frénétique qui saisit les personnages.
Le remarquable finale "Che faro che mi risolvo?" est composé d'épisodes à la chaine du même type que ceux que Joseph Haydn composa bien avant dans la Fedelta premiata (1780). Le plus dramatique d'entre eux est le magnifique quintette "Papà mio caro e bello", un vaudeville dans lequel chaque protagoniste, quittant son déguisement, y va de son couplet: Doristella désigne Lindoro comme le vrai comte; Giannina s'exclame: lo sposo, il conte è quello (le comte est celui-là), montrant du doigt Romolo; Lindoro se prétend le seul comte; l'authentique comte c'est moi, dit Romolo à son tour; et Fabrizio exprime son désarroi: la fille n'est pas la fille, l'époux n'est pas l'époux,le comte n'est pas le comte, Fabrizio n'est plus Fabrizio. Dans l'ensemble final la métaphore d'une sinistre forêt dans une nuit noire est utilisée pour exprimer la confusion de tous.
Acte
II
L'air de Doristella en mi bémol majeur, précédé d'un récitatif accompagné: "Fra queste ombrose piante...", évoque l'opéra seria. Doristella s'est enfuie dans une cabane située en pleine nature, bercée par les bruits des feuilles et le chant des oiseaux, elle s'endort. On a ici un remake d'une scène fameuse de La Cecchina de Nicolo Piccinni (1728-1800). La musique de Cimarosa est aussi inspirée et poétique que celle de son ainé. L'air envoûtant qui suit, à l'intense pouvoir incantatoire, me semble inspiré du folklore napolitain.
L'ensemble "Dove son, di gelo io resto" est, à mon avis, le sommet de l'opéra. Rarement Cimarosa aura écrit musique aussi puissante. Fabrizio et le Comte viennent de s'apercevoir que les deux brigands qu'ils avaient aperçus n'étaient autres que Doristella et Lindoro. Chaque protagoniste exprime son émotion, son désarroi ou sa colère de façon indépendante grâce à une superbe écriture polyphonique et de troublantes modulations. Du fait que les parties de soprano et de ténor sont écrites dans un registre très tendu, cet ensemble et les suivants sonnent brillamment.
Avec le finale de l'acte et de la pièce, on change complètement d'atmosphère et c'est à une irrésistible turquerie à laquelle nous sommes conviés. L'ambiance est totalement bouffonne et même loufoque mais la musique ne perd pas ses droits et on reste confondu par la beauté sonore du quintette vocal qui répète sans cesse les vocables:"Michirimochiera babalasi, totomo chiochiera Mammaluchi". L'orchestration est magnifique avec un rôle prépondérant des cors. Le mariage de Lindoro et Doristella est proclamé et les acteurs expriment leur jubilation dans un prestissimo absolument délirant pendant que Fabrizio donne libre court à son désespoir et ses imprécations. Quand les dernières mesures ont retenti, c'est un sentiment de trouble qui envahit le spectateur de cette farce amère et grinçante.
Tandis que le trame deluse anticipait étonnamment l'art de Vincenzo Bellini (1801-1835), c'est Gioachino Rossini (1792-1868) qui se profile déjà dans les ensembles endiablés d'Il fanatico burlato.
L'air de Doristella en mi bémol majeur, précédé d'un récitatif accompagné: "Fra queste ombrose piante...", évoque l'opéra seria. Doristella s'est enfuie dans une cabane située en pleine nature, bercée par les bruits des feuilles et le chant des oiseaux, elle s'endort. On a ici un remake d'une scène fameuse de La Cecchina de Nicolo Piccinni (1728-1800). La musique de Cimarosa est aussi inspirée et poétique que celle de son ainé. L'air envoûtant qui suit, à l'intense pouvoir incantatoire, me semble inspiré du folklore napolitain.
L'ensemble "Dove son, di gelo io resto" est, à mon avis, le sommet de l'opéra. Rarement Cimarosa aura écrit musique aussi puissante. Fabrizio et le Comte viennent de s'apercevoir que les deux brigands qu'ils avaient aperçus n'étaient autres que Doristella et Lindoro. Chaque protagoniste exprime son émotion, son désarroi ou sa colère de façon indépendante grâce à une superbe écriture polyphonique et de troublantes modulations. Du fait que les parties de soprano et de ténor sont écrites dans un registre très tendu, cet ensemble et les suivants sonnent brillamment.
Avec le finale de l'acte et de la pièce, on change complètement d'atmosphère et c'est à une irrésistible turquerie à laquelle nous sommes conviés. L'ambiance est totalement bouffonne et même loufoque mais la musique ne perd pas ses droits et on reste confondu par la beauté sonore du quintette vocal qui répète sans cesse les vocables:"Michirimochiera babalasi, totomo chiochiera Mammaluchi". L'orchestration est magnifique avec un rôle prépondérant des cors. Le mariage de Lindoro et Doristella est proclamé et les acteurs expriment leur jubilation dans un prestissimo absolument délirant pendant que Fabrizio donne libre court à son désespoir et ses imprécations. Quand les dernières mesures ont retenti, c'est un sentiment de trouble qui envahit le spectateur de cette farce amère et grinçante.
Tandis que le trame deluse anticipait étonnamment l'art de Vincenzo Bellini (1801-1835), c'est Gioachino Rossini (1792-1868) qui se profile déjà dans les ensembles endiablés d'Il fanatico burlato.
Bien
que cet opéra soit musicalement aussi réussi qu'Il matrimonio
segreto, la discographie est squelettique. Le seul enregistrement
de cette commedia per musica par le label
Agora semble épuisé mais peut être écouté sur YouTube. Le chef Carlo Felice Cillario est à la tête de l'orchestre
symphonique de San Remo. Les interprètes sont excellents.
Pour
en savoir plus sur l'oeuvre et la vie de Domenico Cimarosa, on pourra
lire, en complément du livre de Rossi et Fauntleroy (5), un dossier
très complet sur ce compositeur (7).
(1) Dossier complet concernant l'Olimpiade de Cimarosa, pp. 89.
https://www.teatrolafenice.it/wp-content/uploads/2019/03/OLIMPIADE-L%E2%80%99.pdf
(2)
Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1788.
(3)
https://piero1809.blogspot.com/2015/10/le-trame-deluse.html
Rossini estimait que Le
trame deluse
était supérieur au Matrimonio
segreto
(4)
Cocomero = pastèque
(5)
Nick Rossi and Talmage Fauntleroy, Domenico Cimarosa, Greenwood
Press, 1999, p. 170-1.
(6)
Au 18ème siècle, faire l'amour signifie courtiser.
(7)
Yonel Buldrini, Hommage à Domenico Cimarosa. https://www.forumopera.com/dossier/cimarosa-hommage
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