Antigona, dramma per
musica, fut composée à la cour de Catherine II de Russie où
Tommaso Traetta (1727-1779) servait comme directeur de la musique de 1768 à 1775
et fut représentée le 27 août 1772 devant l'impératrice. Le
livret de Marco Coltellini (1719-1777), librettiste officiel du
Théâtre Impérial, est inspiré de la tragédie de Sophocle. Un dossier passionnant a été publié sur cette oeuvre peu de temps après sa création moderne en 1999 (1).
Tommaso Traetta, portrait d'auteur inconnu |
Ainsi Marco Coltellini
inscrit une "happy end" en place et lieu de la
catastrophe (Créon arrive trop tard) qui termine la tragédie de
Sophocle. Cette lieto fine exigée par Catherine II a été
critiquée dès la première représentation et de nos jours, de
nombreuses mises en scène lui substituent la fin tragique de
Sophocle.
Ce livret plut énormément
au roi Frédéric II de Prusse qui en fit un commentaire
enthousiaste. Le roi apprécia certainement la louange prodiguée au
souverain du siècle des lumières, capable de maitriser ses passions
au bénéfice de la justice et de son peuple (2,3).
Mais les deux souverains
ne voyaient qu'une seule facette de cette oeuvre si riche. La mort
d'Eteocle et de Polynice et celle programmée d'Antigone dans la
tragédie de Sophocle ne sont que l'aboutissement logique du double
crime d'Oedipe, parricide et inceste.
Tommaso Traetta, peint par C. Biondi |
Traetta, très influencé
par Jean Philippe Rameau (1683-1764) et la Tragédie lyrique française, effectua une réforme
dans l'opéra seria, parallèlement à Gluck, en introduisant dans la
longue et monotone série d'airs et de récitatifs secs qui
caractérisaient l'opéra seria, des ensembles , des choeurs et des
ballets. Un des buts affichés étaient de rompre le caractère
stéréotypé de l'opéra seria traditionnel et d'augmenter la vérité
dramatique. Antigona, "tragedia per musica",
apparait comme le plus grandiose exemple de d'opéra seria "réformé".
Les innovations ne furent dépassées par aucun des contemporains de
Traetta et ouvrit la route à Mozart dans Idomeneo (1781) ou
Cimarosa dans Gli Orazii ed i Curiazii (1796). Certains
commentateurs affirment que la démarche de Traetta visait à rénover
un genre désormais dépassé et moribond. Il n'en est rien! L'opéra
seria traditionnel continuera à coexister avec l'opéra réformé et
aura de beaux jours devant lui. En témoignent le Motezuma de
Myslivecek (1773), la splendide Olimpiade de Cimarosa (1784),
l'Armida de Joseph Haydn (1784), et la Fedra de Paisiello
(1787).
L'année 1772 fut une
année faste pour la musique, elle donna naissance à de merveilleux
opéras: Temistocle de Johann Christian Bach, Lucio Silla
de Wolfgang Mozart, Antigona de Traetta ainsi que d'admirables
oeuvres instrumentales, notamment trois symphonies exceptionnelles,
les n° 45 (Adieux), n° 46 en si majeur et n° 47 en sol majeur, et
les six quatuors à cordes du Soleil de Joseph Haydn, qui comptent
parmi les plus novateurs dans l'histoire de ce genre musical.
Résumons ici quelques
caractéristiques d'Antigona:
1. Importance des choeurs
omniprésents, qui ne se contentent pas de commenter l'action mais y
participent efficacement. Ces choeurs qui se concentrent dans les
premières scènes des trois actes, évoquent admirablement
l'atmosphère de tragédie antique de l'oeuvre et lui donnent
également un net caractère d'oratorio.
2. Brièveté des
récitatifs secs et des airs. Alors que dans Ippolito ed Aricia
du même Traetta, les airs dépassaient les dix minutes, le plus long
des airs d'Antigone ne dure pas plus que cinq minutes. Ainsi l'action
progresse plus rapidement et l'intérêt ne faiblit jamais.
3. Richesse de
l'instrumentation: les instruments à vent (cors et bassons) ont un
rôle très important. Les clarinettes dont la présence à cette
époque est très rare dans l'opéra ou la musique instrumentale,
donnent à de nombreux passages une sonorité très séduisante.
4. Bien qu'écrit en 1771,
cet opéra possède des traits très modernes et en même temps
semble encore imprégné d'esprit baroque, notamment dans le choeur
qui introduit l'acte III et la chaconne finale.
Citons quelques sommets de
l'oeuvre:
A l'acte I, le grandiose
double choeur "Giusti numi, Ah voi rendete" ainsi
que le choeur suivant "O trista, infausta scena" où
on remarque de puissants et dramatiques appels des cors ainsi que
d'étonnantes dissonances.
L'acte II est introduit
par un splendide choeur "Ascolta il nostro pianto",
grande invocation funèbre à l'occasion des funérailles de
Polynice.
Le choeur qui ouvre l'acte
III "Piangi o Tebe" a un caractère religieux très
marqué qui surprend dans un opéra et serait tout à fait à sa
place dans un Stabat mater par exemple..
Les airs ont des
structures très variées, parmi eux, quelques airs de style
napolitain sont remarquables, le plus spectaculaire d'entre eux se
trouve à l'acte II, c'est l'air d'Antigone "Finito il mio
tormento". Ces airs ont une
aisance, une vocalité et un caractère chantant (cantabilità)
exceptionnels que nous avions déjà relevés dans Buovo d'Antona
et qui signent ses origines napolitaines. Les ornements, vocalises et
autres mélismes, parfois lassants chez d'autres que Traetta, ont ici une
légèreté et un naturel sans pareil. Quelquefois ce type d'air
débouche sur un duetto ou un terzetto ce qui est ausssi très
original. Les arias da capo sont assez rares et le plus souvent les airs revêtent
des formes variées: airs à deux vitesses, de structure Lied ou bipartite et même parfois durchcomponiert comme l'air d'Antigona, D'una misera famiglia. Ce dernier avec basson et clarinettes obligés est d'un modernisme incroyable et ne choquerait pas dans la Clémence de Titus de Mozart.
Quant aux duos et trios,
en nombre important, il faudrait les citer tous; le duo entre Emone
et Ismène qui termine l'acte I, "Non ti fida, il pianto
estremo...", est particulièrement émouvant et les
clarinettes y jouent un grand rôle.
La fin de l'opéra est
d'une sobriété étonnante: l'oeuvre s'achève avec la clémence de
Créon dans une ambiance mesurée, sans réjouissances intempestives.
Le ballet à la Rameau qui clôt l'oeuvre est rien moins que gai, les
tonalités mineures y sont fréquentes et tout se termine avec une
grande chaconne de style archaïque, richement instrumentée et très
dramatique qui évidemment suggère que Traetta aurait souhaité une
autre conclusion à l'oeuvre.
Ce chef-d'oeuvre a été
enregistré pour la première fois par Christophe Rousset et les
Talens lyriques en 1999 et le CD est toujours disponible (Maria Bayo
dans le rôle titre) (2). Cet enregistrement est en tous points
remarquable et on doit remercier Christophe Rousset car il a
ressuscité l'oeuvre. En 2004 cet opéra a été représenté au
théâtre du Chatelet avec une mise en scène d'Eric Vignier et
Christophe Rousset pour la direction musicale et les Talens lyriques
(4). Cet opéra a été représenté à Berlin en 2011 sous la
direction musicale de René Jacobs avec une belle distribution
(Veronica Cangemi dans le rôle titre). Des critiques très
intéressantes des diverses représentations ont été reproduites
dans le site operabaroque (5) ainsi que dans le forum ODB-opéra (1).
1.https://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=159&p=3580&hilit=Antigona+Traetta#p3580
2.https://en.wikipedia.org/wiki/Tommaso_Traetta
3.Giovanna Ferrara, Pieta, Terrore e il lume eterno della ragione, dans Antigona, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset, DECCA 2000..
4.http://www.ericvigner.com/archives/spectacles/299/antigona-2004.html
5.https://operabaroque.fr/TRAETTA_ANTIGONA.htm
1.https://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=159&p=3580&hilit=Antigona+Traetta#p3580
2.https://en.wikipedia.org/wiki/Tommaso_Traetta
3.Giovanna Ferrara, Pieta, Terrore e il lume eterno della ragione, dans Antigona, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset, DECCA 2000..
4.http://www.ericvigner.com/archives/spectacles/299/antigona-2004.html
5.https://operabaroque.fr/TRAETTA_ANTIGONA.htm
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