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samedi 20 avril 2024

Haydn 2032 - volume 2 - Il Filosofo - Giovanni Antonini



Symphonie n° 22 Hob I.22, Il Filosofo

Durant l'année 1761, date de l’entrée de Joseph Haydn (1732_1809) au service du prince Paul Anton II Esterhazy (1711-1762), voient le jour les célèbres symphonies n° 6 Le Matin, n° 7 Le Midi et n° 8 Le Soir (1). Ces dernières révolutionnent le genre et en même temps se rattachent par beaucoup de traits: alternance de soli et de tutti rappelant le concerto grosso, présence de soli instrumentaux, marches harmoniques alla Antonio Vivaldi (1678-1741), au passé baroque. La symphonie n° 22 en mi bémol majeur Il Filosofo date de 1764, de même que trois autres symphonies (n° 21 en la majeur, n° 23 en sol majeur et n° 24 en ré majeur). Ces quatre symphonies présentent aussi certains traits qui les rattachent à l'époque baroque. Deux d'entre elles, la n° 21 et la n° 22 Il filosofo, revêtent la coupe de la sinfonia da chiesa, symphonie d'église. Ce type de symphonie débute par un mouvement lent, suivi par un mouvement rapide, un menuet plus lent vient en troisième position et un finale rapide clôt l’œuvre. Cette coupe de la symphonie d'église était très prisée par le jeune Haydn qui composa au moins six symphonies de ce type. La dernière et la plus fameuse est la symphonie n° 49 en fa mineur la Passione datant de 1769. 

Plus que toute autre, la symphonie n° 22, Hob I.22 dite Il filosofo, mérite son nom de sinfonia da chiesa car elle s'ouvre par un adagio basé sur un thème de choral. Haydn, lors d'un entretien avec Albert Christoph Dies (1755-1822), son futur biographe, aurait évoqué un dialogue entre Dieu et un pécheur non repentant dans un premier mouvement de symphonie qui a toutes les chances d'être celui qui nous intéresse ici (2).Toutefois la piste religieuse n’est pas obligatoire, c’est peut-être aussi l’Anima del Filosofo, l’âme du philosophe qu’était certainement Joseph Haydn, que l’on perçoit ici pour la première fois avant de l’entendre dans l’opéra du même nom avec les mêmes cors anglais. Le début de la symphonie est inoubliable : les deux cors entonnent la mélodie de choral et passent le relai sans hiatus aux deux cors anglais. Les cors concluent la phrase musicale avec un trille grotesque qui pourrait aisément figurer le pécheur impénitent. Lors de la réexposition, le trille grotesque a disparu et est remplacé par une « merveilleuse polyphonie des cordes » (dixit Marc Vignal), marche harmonique céleste suggérant que la bonne parole a agi sur le pécheur désormais repentant et pardonné (2). Les cors naturels alto d’Il Giardino Armonico ont parfaitement réussi l'entame, la réponse des cors anglais se déroule avec spontanéité et le fameux trille des cors a de l’humour à revendre. Tout ce mouvement est conduit avec une gravité non dénuée de charme. 

Le deuxième mouvement presto possède ce caractère presque hystérique, caractéristique de certaines œuvres d'un compositeur dont la vie ne fut pas toujours un long fleuve tranquille, il s’agit d’un mouvement très rapide, d'une énergie dévorante, d'une motricité impitoyable de type mouvement perpétuel. Ce mouvement, techniquement impeccable, fut pris, à mon avis, dans le bon tempo et s'est montré aussi disruptif que je l’espérais. 

Les cors et les cors anglais ont donné de ravissantes couleurs au menuet et au trio. Au menuet, succède un finale 6/8 presto, sorte de tarentelle qui impose ses rythmes tournoyants sans interruption de la première à la dernière note. Très enlevé, ce presto a confirmé le talent d’Il Giardino Armonico et de son chef Giovanni Antonini. Les cordes ont un beau son d'ensemble et jouent sans vibrato ce qui convient parfaitement à une œuvre émergeant tout juste du monde baroque. Les vents ne sont pas en reste et j'ai admiré les cornistes, capables d'exploiter toutes les humeurs de ce merveilleux instrument qu'est le cor naturel.

Jean Siméon Chardin (1699-1779) Le château de cartes, Washington Gallery of Art

Symphonie n° 47 en sol majeur, Hob I.47, Palindrome

La symphonie n° 47 en sol majeur forme avec la n° 46 en si majeur et la n° 45 en fa # mineur (Les Adieux) un triptyque. Toutes les trois sont composées par Joseph Haydn en 1772, - présentent des caractères "Sturm und Drang", violemment affirmés dans la n°45, plus discrets et localisés dans les deux autres, - sont exceptionnellement originales, par leur coupe (n° 45), leur tonalité (n° 45 et 46), leur langage musical (toutes les trois), -possèdent enfin un son spécial que je ne retrouve dans aucune autre symphonie antérieures (n° 42, 44, 43, 52) ou postérieures (n° 65, 51, 64). La symphonie n° 47 en sol majeur est reliée à Wolfgang Mozart à plus d'un titre. Il est certain que Mozart l'a lue ou entendue en 1783, année pendant laquelle il note les incipit de trois symphonies de Haydn: la n° 75, la n° 62 toutes deux en ré majeur et la n° 47 qui nous intéresse ici.

Le thème du premier mouvement Allegro 4/4 est inoubliable. C'est une marche au pas cadencé jouée par les vents auxquels répondent les cordes, schéma se répétant cinq fois. Mozart ne l'oublia pas car le thème du premier mouvement de son concerto pour piano KV 459 en fa majeur (décembre 1784), un des plus symphoniques parmi ses 27 concertos pour piano, s'en inspire très nettement. Ce point a été relevé par Marc Vignal (3) et par nous-mêmes (4). Le second thème en triolets joue également sur l'alternance cordes vents et les effets sonores qui en découlent. Le développement tire sa substance des deux thèmes, la transition entre les deux parties du développement consiste en répétitions du thème initial par les vents à travers des modulations expressives. Le même passage avec les mêmes harmonies assure la transition du développement vers la réexposition dans le concerto KV 459 de Mozart. Lors de la réexposition le thème initial ainsi que les oppositions cordes vents se répétant cinq fois, sont transposées en sol mineur ce qui en change complètement le sens. La palette des couleurs et des sons d’Il Giardino Armonico (Giovanni Antonini) est d'une variété et d'une richesse absolument uniques dans ce merveilleux premier mouvement.


Haydn nous gratifie ensuite d'un sublime poco Adagio qui commence par un thème magnifique au sentiment presque religieux présenté d'abord par les violons puis par les basses. Suivent ensuite quatre variations basées sur le même principe: le thème reste solidement ancré d'abord aux basses puis aux violons tel un cantus firmus et l'accompagnement est variable. Dans la première variation l'accompagnement consiste en arabesques syncopées des violons richement accompagnées par les vents. Les arabesque passent ensuite aux basses. Dans les deuxième et troisièms variations l'accompagnement consiste en triolets de doubles croches, puis en figurations variées plus ou moins syncopées. La dernière variation met en jeu cordes et vents unis, la sonorité somptueuse évoque un choeur et ce sublime mouvement se termine par un rappel du début du thème pianissimo. La version qu’en donne Giovanni Antonini est admirable de profondeur.


Le menuetto et trio figure dans la sonate pour piano n°41 (HobXVI.26) composée l'année suivante où ce menuet fait office de finale. Ce mouvement de structure palindromique est extrêmement original. Cette symphonie est parfois appelée Palindrome (5). Le tempo très rapide ne m’a pas semblé idéal car dans ce morceau basé sur des jeux contrapuntiques, on aimerait mieux distinguer les parties intermédiaires.


Le presto assai final est uns structure sonate de grande dimension. Il débute par un thème très original exposé deux fois. Ce thème est suivi d'un passage "Sturm und Drang" en ré mineur dont Marc Vignal a noté la parenté avec le premier tutti orchestral du concerto pour piano en ré mineur KV 466 de Mozart (4). Ce passage plus véhément que jamais intervient dans le développement et encore une fois lors de la réexposition. Ce mouvement comme d'ailleurs le premier, est construit autour d'une alternance entre modes mineur et majeur, entre obscurité et lumière et c'est cette dernière qui triomphe dans la conclusion. Pour des raisons mystérieuses cette symphonie me fait penser à la 3ème symphonie en sol mineur d'Albert Roussel. Il Giardino Armonico en donne une version idéale.


Jean Siméon Chardin, La fillette au volant (1741), Florence, Gallerie des Offices


Symphonie n° 46 en si majeur Hob I.46

La symphonie n° 46 en si majeur est particulièrement remarquable, d'abord par sa tonalité exceptionnelle. Il ne semble pas que cette tonalité ait été souvent utilisée dans une symphonie par un contemporain de Joseph Haydn ou après lui. Avec cinq dièzes à la clé, la symphonie n° 46 est d'une exécution difficile pour les cordes et en particulier pour les altos et les basses qui ne peuvent utiliser aucune corde à vide. 


Le premier mouvement vivace 4/4 débute avec un thème assez anguleux, qui est répété une fois. Après un pont, le thème initial très adouci reparaît en fa# majeur piano avec un accompagnement staccato du second violon. Le second thème éclate brutalement fortissimo aux premiers violons dans la tonalité de fa# mineur. Il est suivi par un motif de trois croches faisant l'objet d'imitations avec les basses et de modulations hardies et l'exposition se termine par un rappel du second thème en fa# majeur. Le développement débute par des imitations entre violons et basses sur les deux premières mesures du thème principal. Après un bref retour du thème principal à la tonique, le second thème fait l'objet de modulations audacieuses et enfin le motif de trois croches donne lieu à une extension modulée très expressive. Les harmonies sont particulièrement acerbes (neuvièmes mineures) pendant tout ce développement. La réexposition est profondément modifiée, le premier thème donne lieu à des imitations entre violons et basses puis entre premiers violons et seconds violons au cours desquelles la tonalité de ré# mineur est atteinte tandis que prolifèrent les doubles dièzes (6). Ce très beau mouvement est parfaitement mis en place par Il Giardino Armonico.


Après un premier mouvement assez âpre, Haydn nous offre un poco adagio en si mineur 6/8 avec sourdines très différent. C'est un morceau au rythme de sicilienne d'un grand charme mélodique. Le contraste est vif entre le rythme souple de sicilienne de la première mesure et le motif de six doubles croches staccato assai de la seconde mesure. Le développement est basé sur un très beau chant du premier violon issu de la première mesure de l'adagio tandis que le second violon accompagne avec un dessin au rythme syncopé très complexe. L'effet est très beau, il dut plaire beaucoup à Haydn car ce dessin syncopé est repris par le premier violon dans la réexposiition avec un magnifique accompagnement des deux haut bois et des deux cors. Les doubles croches staccato semblent maintenant tout envahir et c'est par un murmure pianissimo de tout l'orchestre que se termine ce mouvement ciselé par Giovanni Antonini et ses musiciens.


Le génial menuetto allegretto mériterait d'être aussi connu que le menuet de Boccherini. D'une élégance accomplie et d'une beauté troublante, il évoque quelque danse ancienne qu'un Watteau sut si bien représenter. Attention à ne pas jouer trop vite ce menuet noté allegretto! L’exécution trop rapide de l’orchestre bâlois lui fait perdre malheureusement une partie de sa poésie. Quel contraste avec l'étrange trio en si mineur dont l'écriture minimaliste et les harmonies d'Europe Centrale rappelle le fantomatique trio de la symphonie n° 29 en mi majeur (7).


Le finale Presto e scherzando 2/2 est rigoureusement monothématique. Le thème principal au caractère populaire est répété plusieurs fois dans des tonalités différentes et avec des contrepoints variés. L'exposition se termine pianissimo aux seuls violons. Le développement débute abruptement en ré dièze mineur, les doubles dièzes prolifèrent dans les parties des cordes. Brusquement tout s'arrête et chose unique dans une symphonie de Joseph Haydn, le rythme change (istesso tempo di menuet a noté Haydn) et c'est le thème lancinant du menuet qui reparaît (8). Le menuet s'arrête et c'est le thème initial qui refait surface mezzo forte d'abord puis piano et enfin pianissimo au dessus d'une basse de musette des cors dans l'extrême grave. Deux accords fortissimo mettent un terme à la symphonie.


Jean Siméon Chardin, Bénédicité, Paris, Musée du Louvre.



(1) https://piero1809.blogspot.com/2023/03/les-heures-du-jour.html

        (2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 842-3.

        (3) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 997-8.

        (4) https://haydn.aforumfree.com/t281-symphonie-n-47-en-sol-majeur-entre-ombre-et-lumiere

        (5) Palindrome: mot ou groupe de mots que l'on peut lire dans les deux sens. En biologie: caractère                  de certaines séquences d'ADN auto-complémentaires susceptibles de former une épingle à cheveu.

        (6) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 999-1000.

        (7) Ibid, pp 845-6.

        (8) Luigi della Croce, Les 107 symphonies de Haydn, Dereume, 1976, pp 176-8.



Jean Siméon Chardin, La brioche (1763) Paris, Musée du Louvre.


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